Les Chemins de Porquerolles

la Colonie agricole de Porquerolles



 

Léon de Roussen a acheté l'île de Porquerolles en 1881 en vue d'en faire une exploitation agricole. Afin de défricher l'île que le précédent propriétaire avait laissé à l'abandon De Roussen a créé un "Centre d’éducation et de patronage des jeunes détenus mineurs", une colonie agricole regroupant une centaine d'enfants et d'adolescents envoyés par l'Assistance publique de Paris pour assurer leur éducation et leur réinsertion par le travail. Ces centres d'éducation avaient été crées par Louis Napoléon Bonaparte pour vider les villes des jeunes délinquants, une vingtaine de centres de ce genre ont existé en France dont un dans l'île Levant de 1861 à 1867. qui fut le théâtre d'une révolte en 1867 coûtant la vie à 14 enfants morts dans un incendie. (Voir le récit de Claude Griotte, Les enfants de l’île du Levant, qui après une enquête minutieuse, retrace les souffrances et les révoltes de ces enfants bagnards.) .

Leon de Roussen, propriétaire de Porquerolles, était l'ancien secrétaire de Gambetta, rédacteur du journal « la République française », Ce journal avait été créé par Gambetta et il avait grandement contribué à son ascension politique. De Roussen nous a laissé un petit exemple de son talent littéraire dans un pamphlet  : "Des fissures du budget" où il décrit la gabegie de l'administration militaire à Porquerolles. Il était actif dans le monde politique de Paris, socialiste militant dans le courant opportuniste (ce qui n'était pas péjoratif!)

coeur brisé

Il avait épousé Jeanne Thérèse Lapeyre, connue comme auteur sous le nom de Pierre Ninous, nom de son premier mari. Elle écrivait des romans de drame et d'amour, comme on disait à l'époque, sous forme de feuilletons dans : "La Petite République française", Elle a rédigé pendant de nombreuses années un roman par an, d'abord sous le nom de Pierre Ninous puis ensuite, aprés le procés de Porquerolles, sous le nom de Paul d'Aigremont ; certains de ses romans seront republiés vers 1950, par les éditions J Tallandier. Elle était également directrice du journal illustré : La Famille. Elle fut une des maîtresses de Gambetta, ce dernier à eu l'occasion de rendre visite à Porquerolles aux époux Roussen, et un des bateaux de liaison avec le continent s'appelait "'le Gambetta".

Les enfants de la Colonie Agricole étaient logés au fort du Grand Langoustier, ou plus précisément dans les fossés transformée en dortoirs et recouverts d'une toiture à peu près étanche. Des traces d'aménagements sont encore visibles, ainsi que des graffitis réalisés par les jeunes colons. Ce sont eux qui on fait émerger les falaises de quelques mètres de haut que l'on voit sur le haut de la vigne du Brégançonnet à l'est et à l'ouest ; les terrains cultivables ont été artificiellement agrandis en attaquant à la pioche les terrains en pente pour les aplanir jusqu'aux petites falaises qui limitent maintenant la vigne.

Cette colonie agricole, était dirigée de fait par Mme de Roussen, son mari étant peu présent dans l'île. L'encadrement était constitué d'un directeur M FERRY et de quelques surveillants, il n'y avait aucun éducateur et les enfants n'étaient pas scolarisés. La colonie n'a pas fait parler d'elle jusqu'à ce qu'une révolte des enfants, en juillet 1886 conduisent les autorités à intervenir et à enquêter sur les mauvais traitements décrits par les enfants.

Cette affaire, pour la première fois évoquée par le Var Républicain, a été très vite reprise par les journaux parisiens à cause de la notoriété des époux Roussen qui n'avaient pas que des amis dans les milieux politiques et médiatiques! Ces évènements sont évoqués par des articles de presse de journaux parisiens de l'époque : le Gaulois (quotidien) du 28 juillet 1886 et Le Tintamarre (hebdomadaire satirique) du 8 aout 1886


le Gaulois

L'AFFAIRE DE PORQUEROLLES

Une révolte dans une colonie agricole

II y a quelques années, M. Léon de Roussen achetait au duc de Vicence l'île de Porquerolles, qui lui fut vendue un million. Les terrains étaient en friche pour la plupart. Le nouveau propriétaire s'empressa d'installer une ferme modèle, et s'efforça d'apporter à l'Ile de nombreuses améliorations. Mme de Roussen dont le pseudonyme est bien connu dans le monde de la littérature s'intéressa aux efforts de son mari; bientôt, guidée, dit-elle, par une pensée philanthropique dont il convient de la féliciter, elle songea à demander, à l'Assistance publique que les enfants moralement abandonnés qui se faisaient remarquer par leur esprit d'indiscipline, afin de les soustraire à l'internement dans les maisons de correction. Mme de Roussen estimait que ces enfants, transportés dans un milieu nouveau et bien conseillés, pourraient devenir de bons agriculteurs, et prendre rang dans la société honnête.

Dernièrement, les gendarmes ramassaient te sur la grande route, aux environs de Toulon, cinq petits vagabonds qui, pressés de questions, finirent par avouer qu'ils s'étaient échappés de l'ile de Porquerolles afin de se soustraire aux mauvais traitements auxquels, disaient-ils, ils étaient chaque jour en butte. En même temps, on apprenait qu'une révolte venait d'éclater parmi les détenus demeurés dans l'ile. Une enquête fut ordonnée dès que le calme fut rétabli. M. Savouré, inspecteur délégué par l'Assistance publique; le préfet, le juge d'instruction et le procureur de la République, interrogèrent les enfants, qui se plaignirent de leurs maîtres. Bref, le résultat de l'information fut défavorable à M. de Roussen celui-ci n'a pas voulu rester sous le coup des accusations portées contre lui il vient d'écrire une lettre dans laquelle il demandait, d'accord en cela avec l'Assistance publique, une contre enquête au cours de laquelle seraient entendus non seulement les rebelles, mais encore le personnel de l'école et les habitants du pays. Les choses en sont là.

Hier, nous avons eu l'occasion de causer avec Mme de Roussen, qui se trouve en ce moment à Paris, des événements de Porquerolles. Je n'ai pas d'enfant, nous a-t-elle dit, et j'ai cru bien faire en m'occupant des pauvres petits que l'Assistance publique, impuissante à discipliner, s'apprête à jeter dans ces milieux de corruption : les pénitenciers. Je suis, aujourd'hui, bien mal récompensée. Nous avons payé notre île un million et nous y avons dépensé déjà des sommes considérables nous avons installé une ferme modèle, une porcherie anglaise, et nous faisons venir à grands frais des instruments aratoires perfectionnés. L'an dernier, notre personnel, les gens qui cultivent nos terres, nous ont coûté 108,574 francs, ainsi que le prouvent les pièces de comptabilité que voici, qui n'ont pas été fabriquées pour la circonstance, croyez le bien. Toutes portent le cachet, la signature de l'économe et de notre régisseur. Nous n'avons donc pas besoin de faire travailler outre mesure les jeunes détenus. Ces derniers sont, chaque année, au nombre de soixante en moyenne. Or, l'an passé, ils nous ont coûté 40,917 francs, sur lesquels l'Assistance publique nous a donné a peu près 20,000 francs. C'est donc 20,917 francs que cette entreprise philanthropique nous a coûtés, lesquels 20,000 francs ne sont pas compris dans les 108,574 francs dont je vous parlais il y a un instant.

On dit que les enfants détenus sont mal nourris, insuffisamment habillés: comment se fait-il alors que nous dépensions en moyenne près de sept cents francs pour chacun d'eux? Vous pourriez, monsieur, en consultant ces fiches, savoir exactement combien il leur est donné chaque jour de pain, de viande et de vin. Nous les logeons à l'extrémité de l'île, au fort du Langoustier, que le génie nous a cédé. Est-ce là, comme on l'a dit, un bâtiment inhabitable pour cause d'humidité ? Je ne le crois pas, car il servait, jadis, de poudrière, et ce n'est pas, que je sache, dans des endroits humides que l'on enferme la poudre. Pour se rendre du Langoustier à la ferme où ils travaillent, ils ont à franchir une distance de deux kilomètres et autant pour le retour. Ce n'est pas exagéré. Quelquefois, il est vrai, mais rarement, on les envoie à l'extrémité de l'ile, et, dans ce cas, c'est cinq kilomètres qu'il leur faut franchir. Ces jeunes gens, auxquels, à chaque repas, on donne trente centilitres de vin qui ont, en hiver, un habillement bien chaud et, en été, un vêtement de toile, pour lesquels nous avons organisé une musique, un théâtre, un gymnase; ces enfants en arrivent à regretter Porquerolles lorsqu'ils sont au régiment. En guise de récompenses, nous leur donnons des bons points, avec lesquels, à la cantine, ils peuvent se procurer des friandises, tout ce qui leur plaît, en un mot, hormis le tabac et l'eau-de-vie. Eh bien, il n'est pas de jour où ils ne nous jouent quelque tour pendable ils cherchent à s'évader et à retourner à Paris.

Comment s'est passée, exactement, l'affaire qui a motivé l'intervention des autorités,ces jours-ci? Voici cinq détenus avaient été punis du cachot, ils s'évadèrent une première fois, ils volèrent une barque et gagnèrent la côte; habitués que nous sommes à ces incartades, nous envoyâmes des dépêches dans toutes les directions. On rattrapa les fugitifs près de Cannes. Réintégrés dans leur cellule, les fugitifs s'évadent de nouveau. Qui leur fournit les outils nécessaires? Nous ne savons si c'est leurs camarades ou bien les habitants du village, avec lesquels nous sommes en procès. Quoi qu'il en soit. après avoir pillé le magasin aux habillements, ces malheureux gagnèrent encore la terre ferme, où on les arrêta.

Une brigade de gendarmerie arrivait et rétablissait le calme chez les autres détenus qui, à Porquerolles, s'étaient révoltés. Les magistrats se sont bornés a interroger les coupables et ils n'ont pas demandé l'appréciation du personnel de l'établissement. Puis des journaux ont enregistrés les déclarations des détenus, les ont appelés petits martyrs; et ces feuilles, véritables excitations à la révolte, ont été distribuées à Porquerolles. Le 23 juillet, par lettre chargée, mon mari a signifié a l'Assistance publique qu'il a lui rendait les enfants que l'on nous avait confiés. On nous a. répondu par une demande de location des bâtiments où sont logés les détenus. Nous ne savons ce que nous déciderons. Peut-être attendrons-nous, pour nous prononcer, le résultat de la contre-enquête que nous demandons.

Dernière heure : Mme de Roussen, bien entendu, a parlé pro domo , l'impartialité nous fait donc un devoir de reproduire le récit des événements qui nous est télégraphié par notre correspondant de Toulon : La colonie des Enfants assistés, dit-il, comprend en ce moment cent deux jeunes gens, âgés de huit à vingt ans on les emploie à la culture et au défrichage, sous la direction d'un M. Ferry et de plusieurs surveillants. De l'enquête faite par le procureur de la République, il semble résulter que cette colonie serait un véritable bagne pour les pauvres petits qui, à la moindre peccadille, se voient punis de la bastonnade, du cachot. Avant-hier, à la suite d'une punition infligée au plus jeune détenu âgé de huit ans des protestations s'élevèrent, des murmures se firent entendre, les surveillants, qui voulaient intervenir, furent roués de coups.

barres de justice

Bientôt les rebelles, armés de pierres, do couteaux et de haches, escaladèrent la colline qui domine l'Ile, et, au nombre de quatre-vingts environ, se barricadèrent dans le fort du Langoustier. Ils se rendirent inexpugnables en levant le pont-levis. En présence de cette attitude menaçante le directeur télégraphia au sous-préfet de Toulon et au procureur, pour demander du secours. Les autorités et la gendarmerie ne tardèrent pas à arriver.

Le sous-préfet, Mr Blanc, se dirigea seul vers les révoltés. Tuons-le! crièrent quelques-uns. Enfin, après une demi-heure de pourparlers, le calme se rétablit. On avait promis d'écouter les doléances des rebelles et d'y remédier, si possible. Les détenus reprirent leurs travaux et exposèrent devant leurs surveillants les griefs qu'ils nourrissaient contre leur directeur. Des instructions supplémentaires ont été demandées à Paris. On dit que de lourdes charges pèsent sur MM. Ferry, de Roussen et sur les surveillants. L'enquête leur est tout ce qu'il y a de moins favorable. Au moment de la révolte, le directeur a disparu avec les surveillants, deux de ces derniers sont depuis demeurés introuvables.

Le procureur a découvert dans un coin de l'établissement des barres de justice avec des chaînes destinées, dit-on, à lier les mains et les pieds des détenus punis.

EDMOND LE ROY

AFFAIRE DE PORQUEROLLES

PAR DEPECHE DE NOTRE ENVOYÉ SPECIAL

Toulon, 27 juillet, 8 h. 15 soir.

Aujourd'hui je me suis encore rendu à Porquerolles, car une nouvelle émeute y a éclaté la nuit dernière M. Savouré, inspecteur des enfants assistés, délégué par l'administration a commis l'imprudence, au cours de sa visite à la colonie agricole, de proférer des paroles menaçantes et d'essayer de faire de l'intimidation. L'effet produit a été déplorable. La gendarmerie d'Hyères a dû se transporter sur les lieux afin de rétablir l'ordre. Le directeur de établissement des détenus, M. Ferry, insiste pour obtenir l'arrestation immédiate des dix rebelles les plus compromis.

Cette satisfaction ne sera pas accordée par les autorités, qui ont énergiquement refusé d'opérer la moindre arrestation. Je vous ai télégraphié hier les détails relatifs à la première rébellion des détenus, rébellion qui. a eu lieu à la. suite de l'évasion des cinq enfants arrêtés par la gendarmerie aux environs de Toulon. Je vous ai dit comment M. Blanc, sous-préfet, s'était embarqué à bord du remorqueur qui avait été mis à sa disposition par M. le vice-amiral Krantz, préfet maritime, afin qu'il pût se transporter plus rapidement dans l'Ile dont M. Léon de Roussen est propriétaire.

Le sous-préfet, M. Blanc, était accompagné de son fils et de M. Florens, procureur de la République. A leur arrivée à Barquerolles, à quatre heures et demie, ces messieurs ont été reçus par MM. Toucas, juge de paix, Castueil, maire d'Hyères, Pellet, adjoint spécial, qui venaient d'arriver de la côte. Vous savez le résultat qu'obtint le sous préfet en s'avançant seul pour parlementer avec les mutins barricadés dans le fort du Langoustier les enfants se soumirent et reprirent leur travail, persuadés que les promesses qui leur étaient faites seraient tenues et rassurés par les paroles paternelles et bienveillantes qui ne leur avaient pas été épargnées. C'est que l'on avait reconnu le bien fondé de quelques-uns des-griefs formulés par les enfants; leur nourriture laissait beaucoup à désirer, et, la veille encore, on leur avait servi des haricots absolument crus.

A neuf heures du soir, les autorités quittaient Porquerolles et rentraient à Toulon, a minuit, par le remorqueur le bateau ramenait également la brigade de gendarmerie que, grâce aux précautions prises par le sous-préfet, les enfants n'avaient même pas vue. Mais, comme je vous l'explique plus haut, l'attitude de M. Savouré a annulé tous les résultats heureux obtenus par M. Blanc, le sous-préfet, à force de pourparlers; vous avez vu qu'une nouvelle émeute a été la conséquence d'une intervention maladroite. La gendarmerie a pu, cette fois, rétablir l'ordre. Sera-t-elle aussi heureuse dans l'avenir ?

Je viens d'avoir avec M. Léon de Roussen une longue conversation. Le propriétaire de l'ile de Porquerolles m'a déclaré, et cela à plusieurs reprises, que son intention formelle était de poursuivre,par tous les moyens que la loi lui confère, les personnes qui ont divulgué les détails et les résultats de la première enquête qui a été faite. D'après lui, les faits ont été à ce moment de beaucoup exagérés, et il est persuadé qu'il faut chercher là la cause des nouvelles révoltes qui se sont produites. Le journal a du reste parlé de ces choses dans son numéro de ce matin.

M. Léon de Rousse, pour expliquer et justifier les punitions sévères qui sont infligées, dit que les enfants envoyés à Porquerolles ont commis déjà toute sorte de délits, et sont les plus indisciplinés de tous ceux que l'Assistance publique a en garde. Les évasions doivent à tout prix être rendues impossibles car, selon lui, Porquerolles est un pénitencier et non pas une colonie agricole.

Le propriétaire de l'île a' l'intention de remplacer les détenus par des ouvriers piémontais, lesquels, affirme-t-il, lui coûteront moins cher et travailleront beaucoup plus. Contrairement à l'opinion de bien des gens, je crois pouvoir affirmer que M. Léon de Roussen n'ignorait pas les mauvais traitements et les punitions barbares infligées par ses surveillants. On redoute de nouveaux troubles; aussi la gendarmerie est rentrée à Porquerolles et tous les surveillants sont armés. Pour ma part, ma conviction absolue est que les jeunes colons sont, en ce moment du moins, accablés de vexations qui les contraignent pour ainsi dire à se révolter.

RITAUT.

le tintamarre

Le Tintamarre 1886/08/08

Les Petits Forçats

          Un sieur de Roussan, ancien gâte-sauce au journal la République française, qui se trouve actuellement, à la suite de je de ne sais quelle heureuse fortune, est-ce avec ses économies dé rédacteur? propriétaire de l'île de Porquerolles, située sur la côte de la Méditerranée, et qui relève de l'administration préfectorale du Var. Celle île est, dit-on, très belle, et d'une végétation qui promet à la culture un rendement particulièrement copieux. Lorsque le sieur de Roussan en devint propriétaire, l'île était inculte et sans rapport, mais l'esprit subtil de l'opportuniste comprit aisément quel parti l'on pouvait tirer de l'exploitation d'un pareil terrain, et le profit que lui réservait ultérieurement une spéculation intelligente. Or, en toute entreprise, un homme expérimenté met en première ligne l’économie des frais de premier établissement. Dans cette sage pensée, le sieur de Roussan s'entendit avec le sieur Quenlin, en compagnie duquel il avait jadis tourné la broche dans la cuisine de Gambetta, vu qu'il était alors directeur de l’Assistance publique ,d'où son incapacité l'a depuis fait déguerpir. Le compère Quentin, en bon camarade, entra d'emblée dans le plan du dit Roussan, et lui adressa une centaine d'enfants, pris parmi ceux inscrits à l'Assistance publique. Ces pauvres petits furent employés au défrichement de l'île de Porquerolles. C'était, on le voit, une économie judicieuse, car bien loin d'être rémunéré, le travail de chaque enfant rapportait au moins cinquante centimes par jour au directeur. Malheureusement pour les opportunistes, l'imbécilité qui les caractérise domine de si haut leurs autres qualités, qu'ils finissent toujours par dévoiler eux-mêmes, un jour ou l'autre, le truc à l'aide duquel ils alimentent leur poche. C'est ainsi que de Roussan a si fort serré la vis que ses jeunes martyrs se sont insurgés.

Et, selon le Var républicain, à la suite de celle insubordination l'établissement reçut la visite du sous-préfet, du juge de paix d'Hyères et du procureur de la République, qui ouvrirent, très paternellement d'ailleurs, une enquête immédiate sur la nature des griefs ayant motivé la révolte. Il en résulta qu'irrités premièrement par une alimentation dégoûtante, puis par de mauvais traitements les enfants furent exaspérés outre mesure par la mise en cellule d'un de leurs camarades âgé de huit ans, et qu'on laissa enfermé au pain et à l'eau pendant quarante-huit heures, les petits révoltés l'ont délivré, en démolissant les cellules.

Sur les remontrances bienveillantes du sous-préfet, qui leur promit satisfaction, |a mutinerie s'apaisa; mais les autorités poursuivirent néanmoins leur enquête. Laissons la parole au Var républicain. « Une excellente occasion leur est offerte dit ce journal. Le souper est prêt. Les autorités veulent vérifier l'exactitude des dires des enfants. Elles se trouvent en présence d'une soupe dans laquelle on a mis 350 grammes de graisse pour 92 enfants. Ceux-ci disent qu'au repas de midi les haricots qu'on a servis étaient complètement crus. M. le sous-préfet demande à voir ce qu'il en reste, on répond qu'on les a donnés aux cochons On finit cependant par en découvrir un peu dans une écuelle. Les enfants ont raison : les haricots sont complètement crus.» Nous omettons, faute d'espace, beaucoup d'autres détails non moins écœurants .

On conçoit aisément le calcul du Roussin. Quand le terrain, pensait il, aura été défriché et sera devenu cultivable, quand il aura acquis, par conséquent, une plus-value convenable, il sera opportun de m'en défaire, et j'en tirerai bien net 3 ou 4 millions à la revente. Ce qui étonne en ceci, c'est la coupable insouciance du Conseil municipal de Paris, qui a cependant la haute main sur l' Assistance publique, et qui, à la suite des explications intéressées du directeur de l'administration, n'a pas exigé d'enquête et a négligé toute espèce dé contrôle.

Cette faiblesse de la. Municipalité parisienne a eu pour conséquence un surcroît d'arrogance de l'Assistance publique. Celle-ci a, en effet, envoyé à Porquerolles un inspecteur général des Enfants-Assistés à la mode de Roussan, lequel aurait tenu des paroles de menace aux jeunes travailleurs, rendus très dépendants dans leurs habitudes de discipline et de travail. Ceux ci, qui avaient reçu la veille la promesse d'une enquête et d'une amélioration de leur régime, trouvèrent que ces tentatives d'intimidation étaient, au contraire, l'indice du dessein bien de continuer le système d'oppression et d'exploitation, et se révoltèrent de nouveau. La Commission de l'Assistance publique du conseil général a décidé l'envoi de cinq de ses membres à Porquerolles. Vous verrez que ça ne changera pas.

JEAN KIKINE

De Roussen avait déposé une plainte en diffamation contre le journal "Le Var Républicain" qui avait le premier révélé l'affaire. les résultats d'une enquéte décidée par le procureur de Toulon ont confirmé les dires des enfants : 2 surveillants ont été incarcérés et l'Assistance Publique de Paris, malgré son désir de minimiser le problème, a été contrainte de retirer quelques enfants et de les mettre dans d'autres institutions et de changer les surveillants. De Roussen a jugé plus prudent de retirer sa plainte! et il a engagé un ténor du barreau parisien pour le défendre devant le tribunal correctionnel de Toulon, où l'affaire sera jugée quelques mois plus tard.
La suite :"le Procés de Porquerolles" est en préparation.