Les Chemins de Porquerolles

Un choix de textes sur l'île de Porquerolles


Description de l'île de Porquerolles

faite au mois d'octobre 1751
Attribué à Milet de Mouville



          Cette île fut donnée à bail anphitéose au sieur Dornano, la dame Marguerite de Manlaur sa veuve la vendit trente trois mille quelques cents livres, au Sieur Mathieu de Molé, chevalier de Malte et chef d'escadre des vaisseaux du roi, en faveur duquel la dite île fut érigée en Marquisat vingt cinq de Provence, et confirmé en faveur de François de Molé, maître des requêtes, frère et héritier du dit Mathieu, par lettres données à Dijon le mois de novembre 1658, par lesquelles lettres le roi ne s'est réservé que la grosse tour et son circuit et une rente annuelle de 150 livres payable tous les 25 d'août de chaque année, qui est la seule charge et deniers royaux que la dite île paye, excepté le dixième lors de son établissement.
          Relevant directement du domaine de Provence
          Il a été construit dans cette île, trois autres forts pour la défense de la Province ainsi qu'à l'île de Port-Cros
           M. De Lenoncourt, seigneur actuel de cette île prétend que ces forts ont été construits au dépens de Mathieu et François de Molé, et dans cette idée espère de grands dédommagements de ce que le roi a pris ces forts. C'est une chimère car tous les forts des îles d'Hyères exceptés les anciennes tours de Port-Cros et Porquerolles ont été bâtis par la Province,
          C'est là l'opinion commune et probable, ces îles n'ayant jamais été de produit assez considérable pour engager les seigneurs à faire une si grande dépense contre l'incursion des ennemis de l'état, ou des pirates barbares. Par les mêmes lettres d'érection du marquisat, le roi y a établi haute moyenne et basse justice mixte et moyenne, relevant directement du juge de Toulon où elle va par appel, avec faculté aux seigneurs et successeurs de créer et établir tous les officiers de justice nécessaires, et de jouir de tous les privilèges et exemptions dont jouissent ou doivent jouir tous les Marquisats du Royaume.
          Cette île a 9 à 10 mille toises de circonférence prenant ses extrémités du levant au couchant, sa face au Nord forme quatre vallons ou petites pleines au pied de petites montagnes très accessibles entièrement couvertes de bois de pins blanc et de pinceaux et de bruyères ; lesquelles plaines ainsi que les coteaux et vallons sont généralement propres pour planter de la vigne et semer du froment ,seigle, orge, avoine et légumes ayant été cultivés autrefois.
          L'on peut semer annuellement tant de la part du seigneur, son fermier, ou habitants que l'on peut y établir 250 sacs de grain, mesure de Provence, de toutes espèces qui ne produiront ,années communes, que du 4 ou5, les terres de cette île étant généralement légères et sablonneuses, par conséquent de petite production, surtout pour les graines susceptibles à la sécheresse qui y règne font souvent par l'impétuosité des vents fréquents.
          L'article le plus important et assuré est la vigne qui vient au parfait et produit beaucoup n'étant exposé à aucun inconvénient, fort aisée à planter et à moindres frais que partout ailleurs.
          Il y a comme il est dit ci-dessus quatre plaines d'une étendue honnête, savoir : celle appelée Notre-Dame à l'est de la dite île, au centre de laquelle il y a un logement nouvellement rétabli pour loger deux familles, un très bon puits à côté, un four, deux jardins clos de murailles à pierres sèches, une ancienne chapelle en ruine et un cimetière attenant.
          De la dite plaine de Notre-Dame tirant au couchant à un gros quart de lieu de distance, il y a une seconde plaine appelée la Courtade au bas de laquelle, sur le bord de la mer, au nord il y a un petit pré et terrain pour en former un de cinq à six journées de faucheurs, y ayant une fontaine au milieu qui ne courre point sur la surface de la terre.
          Ensuite de cette plaine, on vient à la maison du seigneur situé dans le centre et en face du principal fort de l'île, ayant à droite et à gauche deux forts bonnes pièces de terre pour produire du froment.
          La maison est presque neuve, d'environ 60 pieds de long sur 40 de large avec son rez-de-chaussée et premier étage seulement, ayant toute ses commodités pour loger un fermier, un ménage fort au large, excepté de cave qu'il n'y a point.
(Note dans la marge : Cette maison ayant été rétablie, la permission en a été donnée par le roi, avec condition qu'en cas de guerre, à la réquisition des Ingénieurs, elle soit démolie sans prétendre d'indemnité. Idem pour l'écurie)
           Au-devant de laquelle maison il y a une écurie et grenier à foin par-dessus nouvellement bâtie et derrière icelle une aire pour fouler les grains, et à cent pas de la gauche et au-dessous du dit fort il y a une maison basse formant deux petites chambres. En revenant de ladite maison du seigneur, à 50 pas d'icelle, allant au port il y a un bâtiment construit en 1747 formant une forge avec son enclume, soufflet, étaux et outils nécessaires pour un maréchal et taillandier, et attenant, un logement composé de son rez-de-chaussée et d'une chambre au-dessus
          S'ensuit la troisième plaine, appelée Porquerolles tirant du nord au midi traversant l'ile ayant à droite et à gauche deux coteaux insensibles couverts de bois et broussailles, au pied de laquelle plaine, du côté du nord, il y a un jardin cultivé et terrain très propre pour y faire tout ce que l'on désirerait en jardinage ayant à côté une très bonne fontaine intarissable au-dessus duquel jardin une petite maison nouvellement bâtie pour loger le jardinier et à côté dicelui jardin, une chapelle aussi nouvellement construite, fort bien décorée.
          Le dit jardin ayant un commencement de clôture de muraille de 15 toises de long et une écurie pour des cochons.
          À droite et à gauche d'icelui jardin commence ladite plaine de Porquerolles dans laquelle il fut planté en 1747 trente trois mille pieds de vignes qui auraient tous réussis au parfait, la moitié desquels s'est perdue faute de culture et par les bestiaux qui les ont mangés continuellement, au-dessus d'icelle vigne à gauche dans la même plaine il y en a une plantée depuis 1739 jusqu'en 1744 qui serait actuellement très bonne, mais faute de cultures et d'attention depuis quatre ans, elle ne produit que fort peu de choses, ce qui seraient aisé à réparer, elle contient environ 15 000 pieds de vignes..
          Sur les bordures des dites vignes il y a environ 300 pieds d'arbres oliviers plantés en 1740 qui ne produisent encore rien, ni duquel on ne doit point espérer grand fruit par rapport aux vents continuels qui sont fort contraires à cette espèce d'arbres.
          En suivant ladite plaine à droite il y a une belle bergerie pour les troupeaux de chèvres ou moutons, de laquelle on a fait enlever toutes les tuiles et chevrons.
          En continuant au couchant l'on vient dans la quatrième et dernière plaine appelée le bois Raynaud entièrement couverte de bruyères et broussailles, et ensuite aux deux forts des grand et petit Langoustier..
          Cette île est érigée en gouvernement duquel M. le Marquis Du Luc est pourvu.
          Il y a deux mouillages dans cette île pour les bâtiments marchands qui y sont en sûreté et à couvert.
          Cette île n'est point cultivée présentement et ne rend par conséquent aucun revenu que celui du bois que l'on finit de dévaster sans ordre ni précaution.
          En 1670 environ cette île fut affermée 4000 livres par année et près de 500 livres de revenu il y a eu deux baux sur le même pied, ensuite elle fut négligée et vint en friches.

Moyens pour mettre l'île de Porquerolles en valeur et lui faire rendre un revenu honnête

          il convient d'y faire construire vingt habitations pour loger 20 familles de paysans lesquelles habitations coûteraient environ 500 livres chacune, n'y ayant plus de logis dans l'île ci : 10000 livres
          Faire planter dans les terrains les plus propre pour 400 boutes de vin à raison de 1300 pieds de vigne pour chaque boute (Note en marge : La boute est de 16 barils d'un pied cube chacun) qui feront trois cent vingt mille pieds de vigne qui coûteront à planter tout au plus y compris la culture de la première année ci : 16000 livres
          Pour clore le jardin de murailles 2000 livres
          Pour etablir un manège de quatre charrues et une paire de bœuf ou mulle chacune y compris les harnais, fer et outils nécessaires, et deux charrettes équipées ci : 2000 livres
           Total 30000 livres
          Au moyen de cette dépense de 30 000 livres et des vingt familles qui est l'essentiel objet auquel on doit s'attacher et qui ne coûteront que l'attention et les mouvements nécessaires pour les attirer et fixer, ce qui ne sera pas beaucoup difficile.
          L'on ne comprend point dans la dépense ci-dessous expliquée celle qu'il faudra faire dans son temps pour un cuvage, cave et vaisseaux nécessaire pour l'article du vin.
          Cette île rendra annuellement premier article, pour la dîme de tous grains des vingt familles, un septième ainsi qu'il est usage dans cette île et dans celle de Port Cros, du Levant et de Ponteves Giens, et le tiers des souches de bruyère que ces mêmes familles arracherons pendant le mauvais temps et saisons mortes de chaque année rendront communément au Seigneur annuellement 75 à 80 livres chaque famille ci : 1500 livres
          Les vignes, cinq ans après leur plantation bien cultivée payerons leur culture et en montant jusqu'à neuf ou dix ans qu'elles seront dans leur part les quatre cent boutes de vin à raison de 30 livres la boute qui est le plus bas prix, déduction faite de tous frais de culture et vendange, produiront annuellement : 12000 livres
          Les bois furent toujours un article important et assuré à moins d'un incendie général.
          Cette île se trouve actuellement couverte à moitié de sujets plus que suffisants de bois de sapins blanc et de pinceau qui font deux espèces pour pouvoir mettre dans 20 à 25 ans les bois en 20 coupes réglées qui procurent annuellement chacune ci
2000 livres
          En faisant un bien, de faire élaguer les bois les rames en provenant, que l'on mettra en fagots que l'on vend sur les rivages de l'île pour la ville de Toulon, produiront annuellement avec les broussailles et les bois morts qui serviont pour le chauffage de la garnison de l'île et cuisson du pain à icelle ci : 1000 livres
          . Pour les herbes d'hiver que l'on peut vendre ou faire manger à des troupeaux de moutons produiront annuellement ci : 300 livres
          Pour le droit d'ancrage que payent tous les bâtiments étrangers qui viennent mouiller aux plages de ladite île, annuellement :
          (Note en marge : Le droit est défendu, on le reçoit par l'usage, je ne sais pas si le droit y est ; il est vrai que les bâtiments ne le refusent pas mais c'est pour avoir liberté de faire du bois pour leur usage.)
100 livres
          Total 16900 livres
          Pour les grains qui se feront à la main du seigneur ou de son fermier ne seront que suffisants pour la nourriture et payer les frais de culture dans les bonnes années.
          Il y aura suffisamment de pailles qui sont de bonne qualité pour nourrir les bestiaux, on y ajoutera un tiers de foin qu'il faut tirer de la terre ferme.
          La chasse sera toujours belle et abondante en faisans, perdrix, lapereaux, et gibiers de passage, lorsqu'elle sera aménagée.
          Cette île fut adjugée à 1737 par arrêt de la troisième chambre des enquêtes du parlement de Paris moyennant 25500 livres, aux enfants mineurs de M. et Mme De Lenoncourt, ces derniers auraient renoncé à la succession de M. De Lenoncourt leur père, et fait porter leurs enfants héritiers bénéficiaires qui demandèrent la restitution de la dot de Mme de Molé, mère et aïeules des ci-dessus.
          M. De Lenoncourt père et administrateur du bien de ces enfants prit possession à leur nom de ladite île en 1739, qui était considérable en bois puisque depuis 1746 jusqu'à présent, il a été enlevé dans icelle pour quatre vingt mille livres de bois et l'on continue à enlever le reste qui fait un petit objet.
          L'on ne connaît aucune substitution sur cette île, ni hypothèque que celui de M. Danjou, sous-gouverneur du pays du roi, duquel on ignore la validité.
           On sait seulement que Mrs De Lenoncourt père et fils ont contracté envers différents particuliers de cette province pour environ 25 000 livres de dettes pour lequel il y a plusieurs instances pendantes en la Justice de Toulon qui se poursuivent actuellement, ce qui a occasionné la saisie de l'île à la requête de créanciers.
          Pour acheter cette île entièrement, il faut que les enfants de M. De Lenoncourt soient tous majeurs, et que conjointement et solidairement les uns pour les autres avec leur père et mère, ils consentent à cette vente sous les hypothèques de leurs biens présent et à venir.
          L'on estime cette île en l'égard de son état actuel, enlèvement des bois, terre domaniale portant redevance annuelle, avance qu'il faut faire pour la mettre en valeur et le temps pour en retirer le produit qu'à la somme, tout au plus, de cinquante mille livres.

Source : Service Historique de la Marine de Toulon - Cote 4B1 3