Extraits de lettres de Nicolas Fabri de Peiresc
Nicolas Fabri de Peiresc est né à Belgentier (Var) en 1580. Peiresc, conseiller au Parlement de Provence à Aix, ami de du Vair le garde des Sceaux de Louis XIII, fut en relations épistolaires avec toute l'Europe savante : Galilée pour les satellites de Jupiter, Rubens pour les tableaux des Médicis (il ne se séparait jamais d'un auto portrait du peintre que ce dernier lui avait offert) , Harvey pour la circulation du sang, de Lécluse pour l'astragale de Marseille, le cardinal Barberini pour la défense de Galilée, le père Kircher pour déchiffrer la langue copte et Mersenne pour son traité de musicologie et d'acoustique. Peiresc est le dernier érudit universel, il est archéologue, collectionneur, bibliophile, numismate, égyptologue, historien, généalogiste, linguiste, musicologue, botaniste, paysagiste.
Nicolas Fabri de Peiresc avait fait de sa maison le centre d'un immense réseau de correspondance qui s'étendait dans toute l'Europe et rayonnait jusque dans le Levant et en Mongolie.Il a écrit plus de 10000 lettres qui sont une exceptionnelle source de renseignements sur le début du 17eme siécle.
Dans sa correspondance, partiellement publiée par Philippe Tamizey de Larroque et numérisée par la BNF (Gallica, numérisation electronique) on trouve la relation de quelques épisodes qui intéressent les iles d'Hyères.
Illustration : Portrait de Nicolas Fabri de Peiresc, par Claude Mellan. Dessin à la craie noire- 1636 - Musée de l'Hermitage de Saint-Petersbourg.
En 1625, dans une lettre à son frère, il dément une incursion des espagnols aux iles d'Hyères, ce n'était que le passage de 8 Galères Génoises dans l'attente de 4 galères Espagnoles chargèes d'argent.
Je
suis bien marry de la fiebvre quarte du bon Mr
Godefroy et prie à Dieu qu' il le veuille bien guarir.
Je vouldrois que la vaine terreur qu' on a
donné là hault de la descente des espagnols aux isles
d' Ieres, luy eust faict assez de peur pour luy faire
perdre la fiebvre, car cette peur ne luy feroit pas
autre mal considerable. Cez galeres estoient en nombre
de huict de celles de Genes et attendoient le passage
de quattre galeres d' Espagne qui viennent chargées
d' argent, lesquelles ont courru fortune une foys ou
deux en partant de Barcelone et cez jours passez
furent constraintes de reculer vers Perpignan, si
elles eussent osé hazarder de faire voille par les
Tignes, tout seroit passé longtemps y a. Cependant les
galeres de Genes deslogerent des isles d' Ieres dez le
jour St Sebastien et s' allerent loger vers l' isle
Ste Marguerite prez de Lyrins, ayants grand regret
de s' esloigner d' avantage que celles de l' argent ne
soient passées. Voila tout ce que je vous puis dire et
parceque l' on me presse de clorre je ne puis escrire
comme je pensois ne à Monsieur De Lomenie ne à mon
frere, si vous les voyez vous leur pouvez dire de noz
nouvelles et je demeureray,
monsieur,
vostre trez humble et trez obligé serviteur,
De Peiresc.
D' Aix, ce mercredy au soir 29 Janvier 1625.
Toujours en 1625, dans une lettre à son frère, il fait part d'une probable incursion des Espagnols aux Iles d'Hyères et joint à son courrier la copie des plans de la Tour prévue sur le Grand Ribaud, précisément pour empècher les Espagnols ou les pirates, d'emprunter la petite passe.
On avoit dict que ceux des galeres de Genes qui
estoient à Sainte Marguerite sont allez et venus
faire leur devotion diverses foys dans St Honoré de
Lyrins dont on a faict plainte. On disoit qu' ils
estoient revenus aux isles d' Ieres, je ne sçay encores
si cela sera bien vray. J' ay enfin faict coppier voz
plans de Ribaudas, et vous en envoye la coppie, ayant
retenu l' original pour ne le hazarder par cez mauvais
temps, et si celuy cy se gaste ou se perd, il n' y aura
pas tant de regret.
En 1629, Dans une lettre aux frères Dupuy il relate le naufrage d'un corsaire turc, l'équipage a très certainement été envoyé aux galères, les esclaves chrètiens libérés et deux turcs convertis ont été renvoyé en rééducation dans un couvent.
Un navire turquesque s' est eschoüé entre les
isles D' Ieres et la terre ferme, où c' est qu' une
cinquantaine de turcs se sont saulvez comme
ils ont peu. Entre lesquels plusieurs esclaves ont
trouvé leur liberté, et deux turcs reniez, se
souvenant d' avoir esté chrestiens en leur enfance,
ont declaré vouloir revenir à l' eglise et les a
on mis dans le couvent
des Pp Recolez pour les instruire au
christianisme. J' avois un petit livret que je
voulois envoyer à cez peres, imprimé à Paris
In- 8 1574 chez Martin Le Jeune, soubs le
tittre de confusion de la secte de Mahomet,
traduict par Guy Febvre De La Boderie. Mais
je ne l' ay sceu retrouver en mon estude ; si vous
en rencontriez quelque exemplaire, soit en blanc
ou frippé, vous m' obligerez de m' en faire avoir
un, et de me l' envoyer par la première commodité.
à Aix, ce 3 febvrier 1629.
Toujours en 1629, la menace Espagnole se précise et des troupes sont envoyées en urgence aux iles d'Hyères.
On avoit dict que sa venüe à
Toullon estoit pour y faire embarquer le regiment
de Rambures, qui y estoit descendu depuis peu,
et pour le faire passer en Italie, mais il n' y a
gueres d' apparance, car le passage luy eust esté
plus aisé du costé de Suse tandis qu' il estoit à
Sisteron. Si cela est qu' on les embarque, je
m' imagine que ce sera pour les jetter aux isles
d' Ieres, afin d' y empescher une descente de
l' hespagnol, maintenant que l' on faict plus de bruict
que devant de la guerre d' Italie, où l' on dict estre
entré grand nombre de trouppes allemandes, et que
tout le Montferrat est de rechef occupé excepté
Casal, où Mr De Toiras s' est retiré y ayant eu
quelque conflict à Alessandria De La Paglia,
mais cela n' est pas creu absolument, parce que la
nouvelle vient de la part d' un personage qui prend
plaisir de dire des mensonges.
à Beaugentier, ce 7 Novembre 1629.
1634 Dans une lettre aux frères Dupuy Peiresc annonce une nouvelle fois une descente imminente des Espagnols et des Napolitains sur les iles
Mr De La Fayette et mon frere sont à
Tarascon où monseigneur le mareschal attendoit
l' arrivée de Mr Tallon, pour se desbarrasser des
prisonniers qu' il n' a pas voulu laisser juger à
messieurs du parlement, et aprez s' en venir au long
de la marine où l' on nous menasse fort d' une descente
d' espagnols et napolitains, de quoy les advis
arrivent l' un sur l' aultre de touts costez. Et qu' ils
se jactent de venir bastir aux isles d' Ieres ; on
marque entre
aultres choses qu' ils ont faict embarquer jusques à
sept caisses de clouds de fer de cheval, mais les
isles d' Ieres ne sont gueres propres à la cavallerie.
Cependant nous avons desja bien des trouppes qui ne
nous feront poinct de bien et Mr le mareschal n' aura
que trop de subject de differer son voyage de la cour,
En 1635 les Espagnols sont à nouveau présents au large des iles d'Hyères avec 11 galions, il est question de l'arrivée de 20 galions Anglais. Mais les fortifications de Toulon sont achevées et celles des iles d'Hyères (Le petit et grand Langoustier, Le fort du Ribaud et de l'Alycastre à Porquerolles) sont quasiment terminées. La guerre venait d'étre déclarée à l'Espagne par la France (mai 1635)
Nous sommes icy en de bien differentes allarmes, d' une
descente des espagnols en cette province qui ont
tenu 8 gallions en veüe des isles d' Ieres et de
Toullon huict jours entiers, sans arraisonner avec
persone, en terre ne en mer, et sans faire aussy
aulcun acte d' hostilité, jusques à ce que les vents
du mistral s' estants tournez aux marins, ils se sont
advancez plus oultre dans la pleine mer pour
n' eschoüer sur noz rochers, leur armée des galeres en
nombre de 34 ayant esté fort delabrée sur le cap
corse d' une furieuse tempeste, qui englouttist
deux galeres de Sicile et constraignit les aultres
de faire ject en mer, de tout le vin, et aultres
choses plus propres à jetter, pour sauver leur vie.
De sorte que de 11 gallions qui s' y estoient rendus
quasi en mesme temps qu' eux le marquis de Ste Croix
fut constrainct d'en r'envoyer troys à Naples pour
aller requerir ce qui leur manquoit, tandis qu' il
envoya en noz costes les 8 restantz, pour nous donner
de la jalousie et nous tenir en eschec.
L' on nous menasse encore de 20 gallions angloys
qu' on dict estre à Evizzo prez de Maillorque. Si
tout cela venoit fondre sur nous, nous serions bien
mal appoinctez. Mais il y a pourtant, oultre les
3 regimentz anciens, 4 nouveaux qui se levent, et
deux qui viennent du Languedoc et troys compagnies
de cavallerie, qui leur donneront bien de l' exercice,
les fortifications de Toullon estantz achevées en
perfection, et celles des isles en estat de l' estre
dans six jours, dieu aydant, mais Dieu qui a si bien
commancé par cette tempeste et par la deffaicte du
prince Thomas, achevera s' il luy plaict le benefice,
et nous en dellivrera com' il fault esperer et je
demeureray, monsieur le prieur, vostre trez
affectionné serviteur et meilleur amy, De Peiresc.
à Aix, ce 5 juin 1635.