Les Chemins de Porquerolles

Un choix de textes sur l'île de Porquerolles




La Fabrique de Soude de Porquerolles 1826-1876

Cité dans la Randonnée du Langoustier

 
La Fabrique de Soude a été construite au Langoustier en 1826, il s'agissait d'une délocalisation, les autorités marseillaises ayant contraint les fabriques à aller dans des lieux isolés à cause de la pollution engendrée (vapeurs d'acide chlorhydrique en particulier). La société Rigaud, Crémieux & Delpuget, implantée à Septème, près de Marseille ,condamnée l’année précédente à payer de fortes indemnités et une pension annuelle à un propriétaire de Septèmes jusqu’à « l’arrêt des ateliers où à la condensation des vapeurs hydrochlorique de manière assez complète » décide de transférer ses installations industrielles sur un terrain de 45 hectares acheté pour 80000F, à De Lenoncourt et au sieur Michel qui étaient alors proptiétaires de l'île.

La soude était utilisée dans la fabrication du savon. Marseille était réputée pour ses savonneries qui existaient depuis le XIVe siècle. En 1660, on comptait dans la ville 7 fabriques dont la production annuelle s'élevait à près de 20.000 tonnes. Sous Colbert, la qualité des productions marseillaises est telle que "le savon de Marseille" devient un nom commun. En 1786, 48 savonneries produisent à Marseille 76.000 tonnes, emploient 600 ouvriers et 1 500 forçats prêtés par l'Arsenal des Galères. (voir l'historique des Savonneries de Marseille)
Il faut environ 50 % d’huile d’olive, 30 % de soude et 20 % de chaux pour fabriquer le savon de Marseille.

La soude d'origine naturelle primitivement, était obtenue par l'incinération de "plantes à soude" (varech, salicorne et kali). Cette soude provenait essentiellement des cotes ibériques et le port de Marseille etait un grand importateur. Un processus industriel, le Procédé Leblanc a fait son apparition à la fin du 18ème: C'est ce procédé qui a été mis en oeuvre à Porquerolles. il consistait à utiliser le sel de mer comme matière première. Cette fabrication se faisait en 3 étapes :
- transformation du chlorure de sodium en sulfate de sodium par l'acide sulfurique ;
- transformation du sulfate de sodium en carbonate par calcination avec un mélange de craie et de charbon ; le sulfate est réduit par le charbon en sulfure de calcium qui réagit avec la craie pour donner du carbonate de sodium et du sulfure de calcium
- lessivage de la masse calcinée pour extraire le carbonate de sodium qui se dissout dans l'eau alors que le sulfure de calcium est insoluble, puis séchage par évaporation.

C'était la 'soude factice' en réalité du carbonate de Sodium qui, en solution dans l'eau a les même propriétés que la soude (NaOH)

L'acide sulfurique, était fabriquée sur place, la méthode utilisée était connue sous le nom de méthode de la chambre de plomb et elle nécessitait de l’air, de l’eau, du bioxyde de soufre, du nitrate et finalement, une grande chambre de plomb. Le nitrate de sodium utilisé provenait du Chili. Le bioxyde de soufre, quelquefois produit par combustion de soufre importé par tartanes de Vulcano en Sicile, était le plus souvent produit par grillage de la pyrite (FeS2). Les bruyeres de l'île ont été le combustible utilisé au début de l'exploitation puis, quand le bois s'est raréfié, on a fait venir du charbon des houillières du Gard.

La fabrication de la soude a été très protégée par le gouvernement de l'époque Napoléon Ier a pris deux décrets :
le 13 octobre 1809, il exempte de toutes taxes le sel destiné aux raffineries de soude ;
le 11 juillet 1810, il interdit l’entrée en France des soudes végétales d’origine étrangère.

Malheureusement il s'agissait d'une industrie très polluante à cause des rejets d'acide chlorhydrique qui détruisait toute végétation autour d'où la délocalisation dans des lieux déserts (sur 200km de littoral méditerranéen, par exemple aux Embiez, à Port Cros et à Porquerolles) et la recherche d'un procédé destiné à éliminer les vapeurs acides. Les réclamations des habitants du voisinage des fabriques ne prendront fin qu'avec la mise en oeuvre du Procédé Rougier.

"Le procédé Rougier consiste à introduire dans un seul tuyau l’acide hydrochlorique et tous les autres gaz (…). Ce tuyau se prolonge en un canal construit dans toute sa longueur en moellons de pierres calcaires assemblées à pierre sèche et formant une galerie de 1,25 m de haut sur 65 cm de large, creusé à moitié dans un roc vif de chaux carbonatée compacte, voûté en dessus avec du ciment et recouvert avec soin de cendres lessivées, résidu de la fabrication du sel de soude (…). Ce canal circule sur les flancs de la colline, au pied de laquelle est bâtie la fabrique, sur une longueur de 500 m. Ce canal passe dans plusieurs bassins remplis d’eau (…). Les vapeurs se combinent avec l’eau et parcourent dans cet état les canaux. Au bout une tour de 5 à 6 mètres de hauteur, aux trois quarts remplies de pierres calcaires où les atomes d’acide hydrochlorique qui n’ont pas été absorbés par le canal achèvent de se déposer"

fabrique

Ce procédé a été utilisé à Porquerolles et on voit encore sur la photo des ruines de la fabrique, prise au début du 20eme siècle, la « cheminée rampante » sur la droite. Cette cheminée démarrait au niveau d'un bassin de récupération des eaux usées, devenu la piscine du Langoustier, peut être utilisé pour valoriser l'acide dissous, fabrication d'eau de Javel ? Des restes de cette cheminée sont encore visibles sur le terrain.

Les propriétaires de la Fabrique ont logé le personnel : "A Porquerolles...le directeur, le gérant et le contremaître disposent chacun d’une maison à étage, tandis que les familles des 150 ouvriers de la soudière sont logées dans différentes maisons d’habitation" ; et organisé une "coopérative", ancétre de celle que créa F.J. Fournier un siècle plus tard : "Les industriels Rigaud, Crémieu et Delpuget y construisent une cantine équipée d’une boulangerie, d’une cave, d’une cuisine et de différents magasins destinés au stockage et à la vente du vin, de la viande, des légumes ou des vêtements". L’ensemble est géré par un commerçant à qui les industriels concèdent certains privilèges : "Les acquéreurs déclarent qu’ils imposent aux ouvriers de leur fabrique l’obligation de s’approvisionner exclusivement à la cantine et aux magasins du sieur Michel et ils s’obligent à congédier ceux qui y contreviendraient mais à condition, toutefois, que le sieur Michel ou ceux qui auraient pour lui la manutention et l’exploitation de la dite cantine, la tiendront convenablement approvisionnée et fourniront aux dits ouvriers des objets de bonne qualité à un prix n’excédant pas celui des mêmes objets vendus dans les boutiques de détail à Toulon et à Hyères, augmenté des frais de transport ..." [d'après Xavier Daumalin]

L'usine de soude du Langoustier a plusieurs fois changé de propriétaire
En 1859 : Elle est rachetée par la société Jouvin, Renard, Boude et Robert.
Dix ans après par La Société des Produits Chimiques de St Florens et Porquerolles
En 1876 : cette société fait faillite, ruinée par la découverte d'un nouveau processus de fabrication : le procédé Solvay.
Ce dernier permet de produire le carbonate de sodium (Na2CO3) à partir de sel (chlorure de sodium NaCl) et de craie (carbonate de calcium CaCO3) on utilise de l'ammoniac qui n'est pas consommé mais réutilisé. Le procédé Solvay est moins polluant et moins coûteux que le procédé Leblanc. Le sel et la craie sont abondants et peu coûteux.
L'usine est rachetée aux liquidateurs par un Marseillais, J.B. Carteirade, qui la fait démolir, ne conservant que les dépendances. 
Puis il revend en 1879. le terrain et les ruines au Duc de Vicence, propriétaire à l'époque de la majeure partie de l'île.

Pour des renseignements complémentaires sur l'industrie de la soude au début de l'ére industrielle, consulter l'article de Xavier Daumalin, "Industrie et environnement en Provence sous l’Empire et la Restauration", Rives méditerranéennes [En ligne], 23 | 2006, mis en ligne le 29 décembre 2008, Consulté le 22 septembre 2010. URL : http://rives.revues.org/index522.html

Résumé
Contrairement à certaines idées reçues, la problématique « industrie et environnement » est bien antérieure à la prise de conscience écologique des années 1960-1970. Dès le début du XIXe siècle, elle apparaît même, pour certaines industries très polluantes, comme un des éléments majeurs de leur relation avec les sociétés dans lesquelles elles tentent de se développer. C’est le cas, notamment, des usines de soude du littoral provençal fondées sous l’Empire et la Restauration. Vivement contestées par les populations environnantes, régulièrement menacées d’être incendiées, condamnées à payer des amendes, elles deviennent peu à peu l’enjeu d’un rapport de force spécifique mettant aux prises entrepreneurs, riverains, conseillers municipaux, experts scientifiques et fonctionnaires de l’État, chaque protagoniste ayant un discours et une posture que l’on pourrait, à peu de choses près, et toute proportion gardée, retrouver de nos jours à propos de telle ou telle industrie reconnue dangereuse et néanmoins jugée vitale pour l’avenir économique et social de la nation.           

P.L. septembre 2010