Les Chemins de Porquerolles

Digressions sur les Randonnées de Porquerolles




Les têtes coupées de Porquerolles

Extrait d'un ancien site du CAV Centre archéologique du Var

Recherche archéologique plage de la Courtade, Porquerolles, Hyères, Var.
Philippe Aycard

avec la collaboration de
Yann Ardagna, Jacques Bérato, Emmanuel Bouilly, Olivier Dutour, Isabelle Ferrari, Ágnes Kustàr, Marta Maczel, Clémence Mège, Gyögy Pàlfi, Sarah Tatham,  Delphine Théolas et Claude Vella



          L’île de Porquerolles fait partie des îles d’Hyères, situées face au massif des Maures, dont elles sont des parties détachées. Elles comprennent en tout seize îles et îlots. Connues dans l’Antiquité sous le nom de Stoechades ou Ligystides, elles incluaient aussi les îles de Lérins. Elles sont citées à maintes reprises par un grand nombre d’auteurs antiques : Appolonios de Rhodes, Les Argonautiques, IV, 552-555, IV, 649-654 ; Pline, Histoire Naturelle, III, 5, 79  ;Tacite, Histoire, III, 43 ; Strabon, Géographie, IV,1, 10 ; Ptolémée II, 10, 5 ; Agathémère, Tableau de géographie, V, 20 ; Antonin, Itinéraire maritime, n° 069, & 99 ; Descriptio tolius mundi et gentium, § 6 ; Ammien Marcellin, Res Gestae, XV, 11, 15 ; Martianus Capelle, De nuptiis philologia et mercurii, VI, 643 ; Jean Cassien, Collationes III, praef. ; Orose, historiae adversus paganos, I, 2, 66 ; Stéphane de Byzance, Ethnika ; Ennodius Felix, Vita Sancti Epiphanii, 32  (voir Duval 1971, Bats 1985, Brun et al. 1997, Brun et al. 1999).
          Possession des Marseillais face à Olbia, elles demeurent au pouvoir de Marseille après 49 avant notre ère et pendant tout l’Empire selon le géographe Strabon (Strabon, Géographie, IV, 1, 10) et l’historien Tacite (Brun 1997, p. 23). Elles ont connu depuis le IIIe millénaire avant notre ère, diverses fréquentations ou occupations humaines qui ont laissé leurs traces sur l’ensemble de l’environnement, aussi bien par des défrichements pour la mise en culture, que par des vestiges archéologiques, terrestres ou maritimes (Borreani et al. 1992, Brun et al. 1997, Brun et al. 1999, Cazalas 1996, Long et al. 1993, Long et al. 2000, Pasqualini et al. 1999). Porquerolles, 7 km de long pour 3 de large, est la plus grande des Iles d’Hyères et aussi, avec ses quatre plaines, celle qui offre le plus vaste terroir cultivable.
          Plusieurs gisements sont connus autour de la plage de la Courtade (Borreani, Pasqualini 1992), dont un cimetière d’époque gallo-romaine en bordure de la plage elle-même. Il a livré par le passé plusieurs tombes à inhumation ou incinération, à la suite de l’érosion due à de fortes pluies (Turcat 1985, Turcat 1988, Bérato 1988, Bérato 1990, Brun 1995, Brun 1997, Brun 1999, p. 483).
          Les découvertes successives de sépultures datées entre le Ier siècle avant notre ère et l’Antiquité tardive ne permettent toutefois pas d’affirmer qu’il s’agit bien d’un cimetière organisé. On remarquera toutefois qu’on ne connaît aucun autre lieu d’inhumation sur cette île et que l’un des habitats les plus importants se trouve à proximité, à l’emplacement du village actuel (Borreani 1992, Brun 1997, p. 28, Brun 1999, p. 482). Jean-Pierre Brun propose d’identifier le village de Porquerolles dans la partie nord de l’île, avec Pomponiana portus de l’itinéraire maritime d’Antonin (Brun 1987, 1992, 1997, 1999). Hypothèse qui tend à se confirmer par les résultats des fouilles de sauvetage au centre du village de Porquerolles, réalisées sous ma direction en février 2003 (Aycard 2003), malgré les propositions de Pascal Arnaud dans une étude des îles du littoral d’après les textes antiques (Arnaud 2003), de rattacher Pomponiana portus à Port-Cros.
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          En 2000, Michel Pasqualini et moi-même, [Philippe Aycard] dégageâmes le 19 juin, une inhumation en amphore, d’une tête décapitée (Aycard et al., 2001), implantée dans une fosse d’environ 60 cm de diamètre et 70 cm de profondeur , creusée dans la couche rougeâtre de sédiments alluvionnaires d’un paléochenal de la régression Würmienne (Mazurel 1964, p. 201 - 203, Geney 1984) Cette sépulture était constituée d’un fond d’amphore gauloise G5 ), d’une hauteur totale d’environ 40 cm, retourné pour servir de couverture à une tête décapitée, d’un individu hyperdolichocrâne, avec ses deux vertèbres cervicales c1 et c2 en connexion, déposée elle-même dans un fragment de panse d’amphore, comme dans un plat . L’ensemble était recouvert d’à peine une vingtaine de centimètres de terre très sablonneuse.
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          L’inhumation découverte en 2000 et datée de la deuxième moitié du Ier siècle, pose deux problèmes :
          Le premier porte sur la chronologie de l’adoption de l’inhumation et corrélativement celui de sa signification. Notre cas, daté du Ier siècle, est un des rares exemples connus en Narbonnaise d’une sépulture où le rite de l’inhumation a été pratiqué si précocement (Bel et al. 1987).
          Le deuxième problème porte sur la raison de cette concentration de têtes humaines décapitées et sur l’identité de ces personnages, qui malgré leurs « mauvaises morts » (cf infra : paragraphe 8. : L’inhumation des décapités de Porquerolles dans le cadre des rituels funéraires généralement constatés à l’époque, p.10), selon les croyances romaines (Jobbé‑Duval 2000, 56 sq.), avaient tout de même été inhumés. La tête mise au jour en 2000 ayant même reçu le rituel funéraire de l’obole à Charon, plutôt que d’être abandonnée aux chiens errants, sur un dépotoir . Cette pratique est en effet très exceptionnelle dans le monde romain, et seulement observée après le Ier siècle avant J.-C., au cours duquel les interdictions religieuses sur les corps mis en pièces ne sont plus respectées. En effet, il arrive que l’on rende les honneurs funéraires à des corps sans tête, à des têtes sans corps, ou à des corps auxquels on a joint ultérieurement la tête, quand celle-ci a pu être retrouvée et rachetée (Voisin, 1984, p. 274-275). Jean-Louis Voisin cite une dizaine de cas connus dont la tête a reçu une sépulture, soit permise ou ordonnée par l’empereur, soit effectuée dans la clandestinité, mais se rapportant tous à des personnages importants.
          Une des hypothèses émises lors de l’enquête archéologique est que ces têtes pourraient appartenir à des compagnons du général vitellien Valens, ou à des habitants de l’île lui ayant donné asile, au moment des évènements de 69, suite aux discordes engendrées par la succession de Néron. Valens ayant été repoussé par la tempête dans les Stoechades lors de sa fuite avec quatre gardes du corps, trois amis et autant de centurions, ils y furent arrêtés par les galères de Valerius Paulinus (Tacite, Histoires, III, 45). Valens fut amené et emprisonné à Urbinum où il fut exécuté. Sa tête fut montrée aux cohortes vitelliennes afin de leur enlever pour toujours tout espoir. A fortiori, elle prodigua à l’armée flavienne, qui soutenait les intérêts de Vespasien, un encouragement prodigieux. Le trépas de Valens fut accueilli comme la fin de la guerre (Tacite, Histoires, III, 62, 2-3). Le devenir de ses compagnons reste quant à lui, inconnu.
          Il semblerait en effet que, la décapitation étant le châtiment réservé aux traîtres, aux proscrits, et aux adversaires politiques (Cantarella 2000, p.144-159), les compagnons de Valens et ceux des insulaires qui l’avaient aidé, auraient pu subir ce sort, au cours d’une exécution en série, juste après leur arrestation. Il serait alors logique qu’après le départ des galères de Paulinus, les habitants de l’île leur aient donné sépulture au même endroit. L’étude anthropologique tendrait à étayer cette hypothèse, étant donné que trouver un individu de  type hyperdolichocrâne et un de type hyperbrachycrâne associés dans une même  population est fortement improbable. Ces deux individus seraient donc d’origines différentes et pourraient être membres des accompagnateurs de Valens.
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          Bibliographie : extraits

Arnaud 2003 : Arnaud (P.) - Les îles du littoral d’après les auteurs anciens, géographie, structures descriptives, tradition littéraire dans Des îles Côtes à côtes - Histoire du peuplement des îles de l’Antiquité au Moyen-Age (Provence, Alpes-Maritimes, Ligurie, Toscane) directeurs Pasqualini (M.), Arnaud (P.) et Valgaro (C.) - Supplément n°1 au Bulletin archéologique de Provence , N.A.B.A.P., Caumont-sur-Durance, 2003, pp. 25-38.
Aycard et al. 2000 : Aycard (Ph.), Pasqualini (M.) - Hyères, île de Porquerolles, plage de la Courtade. Bilan scientifique 2000 D.R.A.C. P.A.C.A., Aix-en-Provence 2000, p. 158.
Aycard et al. 2000 : Aycard (Ph.), Bérato (J.), Martos (F.), Maczel (M.), Palfi (G.), Pasqualini (M.) - Un décapité inhumé plage de La Courtade, Porquerolles (Hyères, Var). Rapport de fouille 2000, déposé au SRA Aix-en-Provence, 2001. Aycard et al. 2001 : Aycard (Ph.), Bérato (J.), Martos (F.), Maczel (M.), Palfi (G.) - Considérations sur deux têtes humaines coupées et inhumées isolément au Ier s. ap. J.-C. dans l'île de Porquerolles, Hyères, Var, Porquerolles (Hyères, Var). Bulletin archéologique de Provence N° 28, N.A.B.A.P., Caumont-sur-Durance, 2001.
Aycard et al. 2001 : Aycard (Ph.), Bérato (J.), Martos (F.), Maczel (M.), Kustar (A.), Palfi (G.), Pasqualini (M.) - Inhumation primaire et isolée d’une tête coupée dans une tombe de l’Antiquité sur la plage de la Courtade, Hyères, Var. Centre Archéologique du Var 2001, Toulon 2001, p. 151.
Aycard et al. 2001 : Aycard (Ph.), Bérato (J.), Maczel (M.), Palfi (G.), Un nouveau décapité plage de la Courtade à Porquerolles : hasard ou série d'exécutions ?, actes du colloque du G.P.L.F. 2001, Centre archéologique du Var 2001 , Centre Archéologique du Var, Toulon, 2002. Aycard et al. 2002 : Aycard (Ph.), Seignat (M-M) - Hyères, île de Porquerolles, plage de la Courtade. Bilan scientifique 2002 D.R.A.C. P.A.C.A., Aix-en-Provence 2003, p. 156.
Aycard 2003 :  Aycard (Ph.) - Recherche archéologique plage de la Courtade, Hyères, Var. Centre Archéologique du Var 2002, Toulon, 2003, p. 30.
Aycard et al. 2003 : Aycard (P.), Berre (M.), Bonnard (A.), Bouilly (E.), Chapelin (G.), Cruciani (M.), Desmontes (J.-L.), Excoffon (P.), Ferrari (I.), Granet (R.), Guittonneau (D., I. et J.-C.), Laurier (Fr.), Mège (Cl.), Seignat (M.-M.), Théolas (D.) - Fouilles d’urgence rue de la Douane 2003, Porquerolles, Hyères, Var – échantillon d’un tissu urbain - Rapport de fouille 2003, déposé au SRA Aix-en-Provence, 2003.
Borréani, Pasqualini 1992 : Borreani (M.), Pasqualini (M.) - Prospection archéologique de l'île de Porquerolles (Var), Peuplement et histoire de l'environnement sur les îles d'Hyères. Documents d'archéologie méridionale, 1992, pp. 391-416.
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Brun 1999 : Brun (J.-P.) dir. - Carte archéologique de la Gaule, Le Var. Paris, Académie des Inscriptions et des Belles Lettres, 1999, 984 p. Pasqualini 1984 : Pasqualini (M.) - Programme de recherche archéologique scientifique, Hyères, île de Porquerolles, prospections archéologiques, rapport scientifique, S.R.A., Aix-en Provence, 1984.
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