Les Chemins de Porquerolles

Digressions sur les Randonnées de Porquerolles

Cité dans la Randonnée du Langoustier

La Saga des Griffes de sorcières

Vers la fin des années 90 une rumeur étonnante s'est propagée parmi les habitants de Porquerolles : le Parc (on disait l'Environnement à l'époque) arrache les griffes de sorcières! D'abord incrédules, les canulars sont monnaie courante ici, ils sont allé voir et c'était vrai! Il y avait des tas de plantes arrachées le long de la route des Mèdes.

Le Parc a expliqué que c'était une plante proliférante qui étouffait les espèces autochtones et que, s'ils n'intervenaient pas, l'ile allait être recouverte sous peu.

Incompréhension et indignation des habitants qui ont vu là une décision technocratique, sans justification locale, car de mémoire d'habitant on n'avait jamais vu ces griffes de sorcières se répandre inconsidérément dans la nature.

Les Griffes de Sorcières [Carpobrotus] sont implantées depuis longtemps à Porquerolles, probablement depuis la création du village vers 1825. Les observations de E Jahandiez de la fin du 19eme indiquent que les localisations étaient sensiblement les mêmes que de nos jours.

D'où un dialogue impossible entre les habitants de Porquerolles qui ne voulaient pas perdre ce magnifique élément décoratif qui reste cantonné dans des zones où rien d'autre ne pousse et des écologistes qui assimilaient les griffes de sorcière à l'algue Caulerpa taxifolia. du point de vue capacité invasive!

Ou est la vérité ? : une étude conduite par des scientifiques de l'Institut Méditerranéen d'Ecologie et de Paléoécologie de l'Université d'Aix Marseille permet d'éclairer le débat.

Banque de données SOPHY


Précisons que sur les Iles d'Hyères, il existe deux taxons distincts à l'origine du peuplement: Carpobrotus Edulis aux fleurs jaunes et à la section des feuilles en forme de triangle équilatéral (en moyenne hauteur 9mm, épaisseur 12mm) et Carpobrotus Acinaciformis aux fleurs rose magenta et à la section des feuilles en forme de triangle isocéle (en moyenne hauteur 12mm, épaisseur 12mm). C. Edulis est une espèce stable, très légèrement hybridée (avec de rares fleurs mauves ), l'autre espèce est bien plus sensible à l'hybridation et beaucoup plus plus évolutive du point de vue génétique au point que l'on préfère désigner l'espèce hybridée présente sur les îles sous le vocable Carpobrotus affine acinaciformis ou Carpobrotus Spp.(C. Spp)

C. Edulis se reproduit par bouturage et graines, C.Spp se reproduit uniquement par bouturage, mais très rapidement. C. Edulis reste confiné aux côtes rocheuses alors que C. Spp peut gagner l'intérieur des terres et s'imposer par rapport aux plantes autochtones. Ce caractère envahissant est amplifié par l'hybridation car il y a une sorte de sélection naturelle qui favorise les hybrides les plus actifs.

On ne trouve à Porquerolles pratiquement que C. Edulis qui ne présente aucun caractère envahissant alors que dans l'île de Bagaud on trouve les deux espèces et les Scientifiques ont mis en évidence le caractère envahissant de C. Spp et le caractère stable de C. Edulis et l'ont expliqué.

« Le système de reproduction de C. Affine Acinaciformis est caractérisé par une croissante clonale importante, ce qui favorise son implantation en occupant rapidement l'espace local. Cette croissance clonale est agressive sur l'île de Bagaud puisque C. Spp s'étend actuellement vers l'intérieur de l'ile au sein du matorral sclérophylle à Pistacia lentiscus, Erica arborea, myrtus communis, phillyrea angustifolia et Quercus ilex, alors que C. Edulis reste actuellement cantonné aux ceintures halophiles et halorésistantes du littoral »

Donc ce sont les habitants de Porquerolles qui avaient raison en disant que, dans l'île, les griffes de sorcières ne sont pas envahissantes (car on ne trouve essentiellement que C. Edulis localisé sur quelques zones rocheuses littorales). C. Spp a été signalée sur l'îlot du Petit Langoustier, mais je n'en ai pas trouvé à photographier sur l'île de Porquerolles, ce qui ne veut pas dire qu'il n'y en ait pas! et j'ai illustré avec une photo extraite de la banque de données SOPHY.

Le Parc a donc arraché pendant des années une espèce non envahissante, en détruisant de façon durable une végétation superbe sur les rochers littoraux, car il n'y a eu aucune plantation de remplacement. Deux erreurs ont été faites : ne pas s'apercevoir qu'il y avait deux espèces de comportements différents et ne pas tenir compte des observations des habitants.

Le Parc n'a pas avoué vraiment son erreur et la communication sur l'éradication des griffes de sorcières est toujours d'actualité! Par exemple dans le numéro de juillet 2010 de "L'attitude mer" un article est encore consacré à « la chasse aux nuisibles » il n'est évidemment pas précisé dans l'article que ce n'est pas l'espèce envahissante C. Acinaformis (représenté en photo avec un document d'archive) mais C. Edulis, non envahissante, que l'on a arraché sur des centaines de mètres carrés! Il semble que la formation des agents locaux ne soit pas suffisante pour identifier les deux espèces, (le Parc sous-traite l'arrachage à des associations écologiques), il vaudrait mieux procéder à l'éradication de C. Spp quand elle est en fleurs ou faire à ce moment un inventaire de ses aires de répartition.

Le document d'objectifs Natura 2000 pour Porquerolles tient compte de l'étude citée et la seule griffe de sorcière mentionnée comme envahissante devant faire l'objet de suivi et d'éradication partielle est nommément Carpobrotus Spp.

Ce qui devrait mettre fin au débat qui dure depuis plus de 10 ans.

On peut espérer que les opérations d'éradication aveugle soient terminées pour faire place à un traitement sélectif d'un « nuisible » probablement peu présent sur l'île et que les griffes de sorcières (à fleurs jaunes et à pétales blanches!) regagneront bientôt leur niche écologique et qu'elles y pousseront en paix.
PL

Article à consulter :

Dynamique d'invasion de deux végétaux introduits dans le bassin méditérranéen, Carpobrotus spp. (Aizoacae) sur l'île de Bagaud (Parc National de Port-Cros S.E. France ) : hybridation, structure clonale et stratégie de reproduction.

Carey M. SUEHS, Laurence AFFRE, Frédéric MEDAIL

Institut Méditerranéen d'Ecologie et de Paléoécologie ( IMEZP, UMER CNRS 6116) Université d'Aix Marseille III Faculté des Sciences et Techniques

Travaux Scientifiques du Parc national de Port-Cros

Référence : Tome 20-p.19/46

Date : 2004