Les Chemins de Porquerolles

Un choix de textes sur l'île de Porquerolles

 

La lutte contre la piraterie en 1627

D'après les "Mémoires de Philippe Prévost de Beaulieu-Persac, capitaine de vaisseau (1608-1610 et 1627)"



On note une recrudescence des exactions des pirates sur les côtes méditerranéennes au début du XVIIème siècle. Entre 1628 et 1634, les pirates d'Alger ont capturé 80 vaisseaux français et plus de 1300 français ont été vendus comme esclaves ou envoyés aux galères.

Durant l'hiver 1627 une galère royale de Marseille est armée pour « sécuriser » la côte entre Marseille et Antibes. Le Commandant de cette galère : De Beaulieu , a décrit cette opération dans un manuscrit conservé à la bibliothéque de Carpentras et publié par Charles de la Roncière en 1913

Titre : Mémoires de Philippe Prévost de Beaulieu-Persac, capitaine de vaisseau (1608-1610 et 1627) / publiés pour la première fois pour la Société de l'histoire de France par Ch. de La Roncière

Auteur : Beaulieu-Persac, Philippe Prévost de

Contributeur : La Roncière, Charles de (1870-1941). Éditeur scientifique.

Identifiant : ark:/12148/bpt6k6541914z

Provenance : bnf.fr

Nous reprenons ici les pages 265 à 276, traduites en français moderne mais en gardant quelques tournures et expressions de l'époque des galères.

Les heureux succès des voyages du sieur de Beaulieu, capitaine d'une des galères du Roi, sous Monseigneur le Duc de Guise, contre les Turcs et Pirates qui ravageaient les Mers de Levant durant les mois de février et mars dernier (1627). Ensemble des combats livrés : en premier lieu contre une barque, sur laquelle il prit 26 Turcs et un Chrétien. Puis contre un Navire Turc de 600 quintaux, lequel il coula à fonds, qui portait 12 canons et 45 hommes. Troisièmement, contre un autre navire de 4,000 quintaux, qui portait huit canons et quarante hommes, qu'il prit et emmena. Et, en dernier lieu, contre un autre navire armé de 20 canons et de 115 hommes, dont il a sauvé en tout 134 Turcs emmené esclaves et 27 Chrétiens mis en liberté. La défaite de cinq cents hommes et de quatre vaisseaux de guerre, faite par le sieur de Beaulieu, capitaine d'une des galères du Roi, sous Monseigneur le Duc de Guise.

Galère
Galère au mouillage
Par Charles-François Grenier de Lacroix, Lacroix de Marseille (Marseille 1700 - Berlin 1782)
CC-BY-SA-2.0-fr , via Wikimedia Commons


La galère royale de cette époque est un navire de 114 pieds de long (46,8m), pour une largeur de 18 pieds (6,85m) et environ 1,5m de tirant d'eau, il y a une chiourne de 255 galèriens à la vogue (qui manient les rames), 5 à chaque rame et environ 120 hommes libres : état major, marins et soldats (50) armés de mousquets. Il s'agit là de l'effectif théorique, rarement atteint à cause des maladies et des désertions. La galère est pourvue de 2 mats, équipés de voiles latines de 500m2.

Une galère porte cinq pièces de canon de bronze, toutes sur l'avant ou proue de la galère. Le principal de ces cinq canons est celui qu'on appelle le coursier. de 3 tonnes environ est de 36 livres de balle ( boulet de 17,6 kg environ) de calibre 175 mm; Les autres sont appelés bâtardes et moyennes; on en met deux de chaque côté, savoir une bâtarde de 8 livres de balle (boulet de 4kg) et une moyenne de 6 livres (3kg).

"Le Coursier tire son origine de la situation de ce canon; car il est enfermé, comme dans une caisse, dans le coursier, qui se situe au milieu ou centre de la galère jusqu'à la proue. Ce canon tire trente-six livres de balle. Il est posé sur des anguillères de fortes planches de bois de chêne, clouées en dedans contre le bordage du coursier. Ces anguillères sont en pente ou talus; leurs hauteurs sont sur le devant et aboutissent en baissant, jusqu'au pied du grand mât. Lorsqu'on veut tirer ce canon, on le charge dans sa caisse, qui est donc le coursier, et par le moyen de deux palans, l'un à droite, l'autre à gauche, on hale ce canon en avant; et comme il est sur ces anguillères bien graissées, il coule sans beaucoup de peine jusqu'à son embrasure, qui est à la proue; et par le moyen des coins, qu'on frappe sous sa culasse, on le pointe comme on veut. Lorsque ce canon tire, il recule de lui-même par la force de sa repousse, jusqu'au bas de l'anguille, et se trouve par là replacé dans sa caisse, sans qu'on ait aucune peine pour l'y remettre. Là on le recharge encore, faisant la même manoeuvre pour le haler jusqu'à son embrasure; et cela à chaque fois qu'on le veut tirer."

Le sieur de Beaulieu, à la réquisition des consuls de Marseille, est parti le premier jour de Février dernier, avec la galère de Monseigneur de Guise, gouverneur de Provence. Le lendemain, qui fut jour de Nostre-Dame, il arriva à Porte-Cros (Port Cros), n'ayant rien vu le long de la côte, bien qu'il prit en passant des nouvelles du sieur de Gasquy à Brégançon, il séjourna neuf jours à Porte-Cros, et le dixième jour, il estima le temps favorable pour conduire trente cinq barques qui étaient à Porte-Cros, et autant à Brégançon, ainsi que deux gros vaisseaux Espagnols qui allaient au Levant, il demanda au sieur de Gasquy de les faire partir et se mit lui même au milieu du passage entre les îles et la terre ferme. Partant avec cette flotte, il la conduisit jusqu'aux caps de S. Tropez, où le vent venant par devant le contraignit à amener [les voiles] pour assurer la surveillance,

Une barque de corsaires d'Alger, qui était mêlée à la flotte, le reconnut et prit le bord au large, le rais (capitaine) était un renégat de S. Tropez. Le sieur de Beaulieu, voyant sa route , lui donna la chasse, ce que voyant quatre renégats Français se saisirent de la chaloupe pour se sauver sur la terre ferme, ils furent pris par un bateau armé que le sieur de Beaulieu avait avec lui, et lui avec la galère pris cette barque, qui portait 28 hommes et quatre Chrétiens esclaves, à environ 18 ou vingt milles en mer. Ayant pris cette barque, voyant la galère faire quantité d'eau, pour n'avoir pas eu de carénage depuis longtemps , il se résout d'aller à Toulon s'accommoder, il passa à Brégançon pour prier M. de Gasqui de l'avertir s'il arrivait quelque chose de nouveau .

Étant arrivé à Toulon, il fit telle diligence, bien que le temps fût mauvais de pluie, vent et neiges, que l'on peut dire que, en trois jours, il eut accommodé ladite galère, à savoir la couverte (le pont) en un jour, et aux deux autres les deux flancs jusqu'à quatre bordages sous la préceinte (qui forme comme une ceinture au navire), donné le suif (goudronné la carène) et charger de vivres pour un mois.

Le Sieur de Gasquy était le Gouverneur de Brégançon, le fort à l'époque était sur la terre ferme, le fort actuel sera construit en 1634 par Richelieu en même temps que ceux de l'Alycastre ou du Langoustier, une garnison royale était installée depuis 1595. Dans la baie de Hyères il y avait 3 abris protégés par des troupes royales et de l'artillerie : Brégançon, Port Cros et Porquerolles. A Porquerolles les défenses étaient sommaires, lors d'une inspection en 1634 le Marquis de Saint Chamon écrit :

«M d'ORNANO à qui le Roi a de nouveau donné la dite isle, entretient huit hommes dans la dite et leur fourni des vivres de 4 en 4 mois. Il y a 2 pièces de fer, dont l'une porte 7 livres de balles. Mais elle est si faible que l'on n'ose tirer. L'autre porte 2 livres et demie Il y a encore une pièce à crocs et 11 mousquets, cinquante livres de poudre et 24 boulets.»
Ce que confirme Monsieur de Séguiran, la même année, dans son rapport à Richelieu en vue de la construction des forts.

Les forts de Brégançon et de Port Cros étaient nettement mieux équipés.

Le nombre de bateaux qui attendaient au mouillage que le temps soit maniable et surtout que la zone maritime de Port Cros à Saint Tropez soit sécurisée, est impressionnant : 70 barques et deux vaisseaux! Il y avait pas mal de cabotage le long de la côte et ce, malgré la saison hivernale pourtant guère propice à la navigation.

La première prise fut assez facile, une barque avec une trentaine de pirates à bord, avec 4 renégats dont le Capitaine, apparemment originaire de Saint Tropez! On peut supposer qu'ils se sont rendus sans combattre après une poursuite de quelques heures.

Mais cette première mission a montré à De Beaulieu que la galère qu'on lui avait confié, était en mauvais état, d'où une escale à Toulon avec une trentaine de barbaresques prisonniers, suivi d'un carénage express, et il a repris la mer avec un mois de vivres, très difficile à caser dans l'espace restreint d'une galère

Le lendemain, il vint encore passer à Brégançon pour prendre quelques nouvelles, et de là s'en alla derechef à Porte-Cros, posant journellement ses guetteurs dans les îles et collines voisines : lesquels, au bout de trois jours, lui firent rapport d'avoir vu cinq gros vaisseaux tirant des bordées, qu'on estimait pouvoir être Samson, corsaire de Tunis; mais le temps ne lui permettant de l'aller voir et s'ennuyant toujours de rester dans un même lieu, il se résous de s'en aller vers les barques de Ribaudas (Le Grand Ribaud), où la vigie découvrit un vaisseau qui tirait le bord à terre dans le golfe de Toulon. Il se résolut de l'approcher, mais la nuit fut cause qu'il n'en put s'en approcher. Le lendemain, les guetteurs le découvrirent au large, alors qu'il tirait un bord à terre. il s'en vint donc près de terre pour ne pas être découvert, venant se ranger en embuscade derrière l'ile de Ribaudas craignant qu'il ne rentre dans les bouches, mais, étant proche de terre, il tira le bord à la mer : ce que voyant, le sieur de Beaulieu se mis à sa poursuite, mais le vent au levant était si frais et le vaisseau allait tellement à la bouline (au plus près du vent) qu'il ne lui fut jamais permis de l'approcher, bien qu'il le chassa pendant sept ou huit milles.

De Beaulieu nous indique sa tactique : il déposait des guetteurs sur les points hauts des îles et, dès qu'une proie potentielle était détectée, il mettait la galère hors de vue pour surprendre l'ennemi en se plaçant dans une situation favorable pour profiter au mieux du vent.

Porquerolles disposait de plusieurs points d'observation reliés par un chemin ou un sentier à un mouillage pour les barques qui amenaient les guetteurs

Le premier, était au sommet d'une crête au Langoustier où on a une vue imprenable sur le mouillage du Langoustier et il était desservi par un sentier de 300m qui partait du "trou du Pirate"

Le deuxième se situait à proximité de la vigie (qui sera construite deux siècles plus tard, en 1812) le chemin partait de l'abri de Maubousquet , à l'extrémité ouest de la plage de Porquerolles pour suivre le ruisseau des pamplemousses (probablement le souvenir en creux d'un chemin moyenâgeux), pour remonter dans une vallée derrière les bâtisses du Conservatoire ; il reste des portions de chemins en creux (devenus des ruisseaux) et une portion de chemin montagnard probablement aménagé par DORNANO : 1300m

Le troisième c'est le Cap d'Armes qui était vraisemblablement utilisé par la mini garnison de Porquerolles : le chemin suivait la rive droite de la Garonne pour rejoindre le Cap d'Armes par un chemin qui existe encore. Longueur totale : 2200m

Le quatrième, c'était le mont des Salins, qui était desservi par un chemin partant de l'extrémité ouest de la plage Notre Dame pour aller plein sud jusqu'à l'embranchement actuel de la route du sémaphore ensuite sa trace est restée en creux, le chemin s'est transformé en ruisseau. Ce cheminement, de 1700m,est visible sur la carte de Phélipeau (1695) puis sur la carte du "feu d'assurance" (1725) car c'est précisément là qu'un feu d'assurance sera installé probablement peu après la "visite" des Anglais, en 1707

Et enfin le cinquième, c'était le Mont Sarranier, desservi par un chemin qui partait du milieu de la plage Notre Dame pour aller presque en ligne droite sur le Sarranier, à 1700m de là il y avait une belle vue sur la Grande Passe entre Porquerolles et Port Cros et sur le mouillage de la Galère.

rose des vents provençale

Ayant donné fond (ayant mouillé) au Ribaudas, le lendemain ses guetteurs découvrirent un autre vaisseau au grand Frieu (dans la grande passe) entre Porquerolles et Baguau, à six ou sept milles au large de terre, il lui donna la chasse; et le vaisseau, le voyant venir à force de voile et de rames, commença à faire force de toutes ses voiles, tirant par Midy et Syroc (entre sud et sud est), et étant un peu plus avancé, il laissa la chaloupe qu'il remorquait pour faire plus grande diligence, elle fut récupérée par le même bateau qui suivait le sieur de Beaulieu.

Etant donc à trente milles à la mer hors des îles et se voyant à la portée d'un mousquet, n'ayant voulu jusques là permettre à ses canonniers de tirer, se tenant toujours sur le canon de coursier, comme c'est sa coutume en tous combats, pointant le plus souvent lui même le canon, il leur donna alors la permission de faire jouer le canon, dont la batterie dura environ six heures, s'éloignant toujours jusques à soixante dix milles à la mer. Ayant cependant appris par quelques uns des siens que la poudre commençait déjà à manquer, voyant la nuit approcher et le vent se rafraîchir. Il s'agissait,selon la rumeur, du rais appellé Soliman, renégat Rochelois, il se résolut de le faire couler à fonds, ne voulant avoir la honte de le perdre, et enfin il en vint à bout : il coula donc avec la plus grande vitesse qui se puisse dire, et pouvait porter six mil quintaux, et avait douze pièces de canon et quarante cinq hommes, dont il ne s'en sauva à nage que 22, y compris quatre esclaves chrétiens, le reste tué ou noyé, n'ayant sauvé dudit navire que la hampe de l'étendard de poupe. Ayant recherché toute la nuit les esclaves, il fit faire voile vers Porte-Cros et arriva environ trois heures après minuit à Port-Maille (Port Man), dans l'île. Et le lendemain il s'en alla à Brégançon pour visiter le sieur de Gasquy, lequel avait vu une partie du combat avec plaisir, encore qu'il eut fait avertir auparavant par un de ses bateaux de l'amitié qu'il lui portait. Il fut grandement réjoui d'entendre que le navire ait été coulé par le fond. Le sieur de Beaulieu n'ayant que fort peu de munitions après avoir tiré quarante trois coups du canon du coursier, et vingt trois autres coups, se résolut d'aller à Marseille pour y conduire sa première prise, et y arriva en deux jours. Ce fût avec la plus grande bénédiction de tout le peuple qui se puisse imaginer.

De Beaulieu était loin du vaisseau pirate, qui naviguait à six ou sept milles des côtes, mais il avait une galère nettement plus rapide, peut être à cause des rameurs! il l'a rejoint à 30 miles des côtes et il a attendu d'être à "portée de mousquet" pour commencer le tir. A combien portait un mousquet? cela dépendait de l'efficacité recherchée : le projectile du mousquet, une balle de 44gr, de 20mm de diamètre était précis et mortel jusqu'à 50m, mortel mais imprécis juqu'à 100m, pouvait provoquer des blessures graves jusqu'à 200m, sa portée en tir balistique atteignait 350m mais il avait alors autant d'efficacité qu'un caillou.

On peut supposer que la galère se rapprochait jusqu'à 200 300m pour être à l'abri de la mousqueterie et pour pouvoir pointer correctement le canon qui tirait à tir tendu. La canonade a duré 6 heures et les navires ont parcouru 40 miles vers le large, le coursier a tiré un coup chaque 10 minutes environ, c'est sa cadence normale. On constate que le tir etait assez imprécis. après 6 heures de canonnades, le vaisseau a coulé très rapidement et aucun "trophé" n'a été récupéré a part la hampe de l'étendard de poupe! on remarquera qu'il a essayé de retrouver tous les survivants, d'une part ils pouvaient être chrétiens et embarqués malgré eux et d'autre part les barbaresques ètaient très appréciés comme rameurs pour les galères et pouvaient être échangés contre des prisonniers chrétiens (il y avait des circuits spécialisés pour cela).

Mais cette opération a quasiment épuisé les rèserves en munitions et il a fallu retourner au port, de toute façons les galères ne s'éloignaient jamais longtemps loin des terres car il fallait faire le ravitaillement en eau au bout d'une semaine.

Mais les consuls ne lui permirent guère de se reposer du travail du combat qui avait duré deux jours, et ils le supplièrent de vouloir continuer une si bon œœvre et le firent sortir sur des nouvelles que l'on reçut des consuls de Toulon; il partit donc le second jour de son arrivée au soir à environ minuit, les consuls étant allés le trouver en sa galère hors de la chaîne pour lui dire adieu; et lui s'en alla tout le long de la côte jusqu'au Cap Rond (Cap Roux) pour nettoyer la côte, ayant séjourné quatre jours au Cap Rond sans rien voir. Le douzième jour de mars, il revint encore à Porte-Cros, où il séjourna jusqu'au dix-huit du mois, jusqu'à ce que la galère découvrit un vaisseau qui entrait par le Fieu de Porquerolles dans le canal; il se mit donc au couvert de Bagueau et le laissa courir jusques à l'endroit du cap d'Abenas (cap Bénat), puis le chargea si fort à voile et à rame, lui coupant le chemin de la mer pour le contraindre de gagner la terre, que le rais, qui était un rénégat d'Arles appelé Aly, se voyant contraint de si près, fît dessein d'aller investir à terre, ce qu'il eut fait à Cap-Nègre, s'il n'y avait pas eu une galère de Gènes qui allait à Marseille, qui se trouva avoir mouillé là à cause du mauvais temps, laquelle fit voile à ce moment. Ledit sieur de Beaulieu craignant que ce ne fut une embuscade, se retint un peu pour gagner le vent de la galère et fit dessein de l'aller investir, quittant le vaisseau pour recevoir plus d'honneur a la prise d'une galère que d'un vaisseau, mais il reconnut la bannière de Gennes (Gênes). Cependant, cela donna loisir au vaisseau d'aller s'échouer auprès de Cavalaire sur une plage bien mauvaise où tous les hommes sautèrent à terre et se sauvèrent du vaisseau ; il portait huit canons et pouvait porter environ quatre mil quintaux, mais il n'avait que quarante hommes en tout, y compris quatre Chrétiens esclaves.

Le sieur de Beaulieu donna ordre à désancaler le vaisseau, ce qu'il ne put faire sans une grande diligence et sollicitude, y ayant rompu deux câbles par grande force qu'il faisait faire à la galère à la vogue. La nuit l'ayant désencalé, il se mit sus une telle fortune de vent au mistral qu'il fut contraint de passer le reste de la nuit en cette mauvaise plage, tous jours faisant voguer et croyant devoir perdre la prise qu'il avait faite. Mais, le lendemain matin, le temps s'adoucit avec l'aide de Dieu et lui permit de partir pour venir à Brégançon rapidement, et de là à Porte-Cros, et de mener le vaisseau en sûreté pour remédier aux dommages qu'il avait reçu en investissant la terre (en s'échouant).

Probablement par vent d'est ou de sud est, le navire des pirates arrive au prés depuis le sud de Porquerolles et vient passer entre Bagaud et le Cap Bénat. Bien caché derrière Bagaud, De Beaulieu le laisse s'enfoncer dans la baie du Lavandou puis se lance à sa poursuite en restant au vent, dés lors le bateau des pirates est perdu, ou il continue sur le même bord et va s'échouer vers Cavalaire, ou il vire de bord en présentant son flanc tribord aux canons de la galère.

Ensuite on voit la Galère, se transformer en remorqueur pour essayer, sans succès, de déséchouer le navire, en cassant deux fois le câble de remorquage, ce qui donne une idée de la force développée par les rameurs. C'est la marée, faible mais suffisante qui libérera le navire.

Ensuite un vent frais se lève, le mistral, la baie de Cavalaire n'est pas abritée, pour soulager le mouillage la vogue a ramé sur place toute la nuit !

Y étant donc arrivé le lendemain vingt-deuxième du mois, ayant fait mettre les guetteurs à terre, ils vinrent lui dire d'avoir vu donner fonds (mouiller) un vaisseau, près du cap de Lennedee (cap Lardier?), qui avait couru de Levant à Ponant et s'était serré vers la terre. Il crut que ce fut un vaisseau marchand et fit sarper (lever l'ancre) tout de suite pour l'aller visiter et lui offrir assistance, comme il a fait à tout les autres qu'il a trouvé à la mer du long de la côte, lesquels il a accompagné en lieu sûr. Mais à mesure que le vaisseau l'aperçut, il ne manqua point de couper son cable et se mettre à la voile, puis rendit le bord sur la galère, faisant une salve de toute une bande de son canon, dont il en portait vingt pièces, et de leurs mousquetairie, avec dessein de venir investir la galère, comme ils ont l'habitude. Et se moquaient de la galère, disant avoir combattu deux fois contre des galères d'Espagne, une fois avec quatre, l'autre avec trois, jusqu'à ce qu'un Turc, plus insolent que les autres, affalait ses caleçons et montrait le cul pour plus de mépris; mais en fin il ne s'en moqua pas, car il eut un coup de mousquet dans les fesses, et il est maintenant en galère tout blessé. Le rais s'appelle aussi Ali d'Andalousie et il est pareillement en galère. Le sieur de Beaulieu ayant vu le salve des ennemis, se résolut de leur faire connaître ce qu'il portait de caché dans le coursier de la galère, et de leur faire voir qu'ils avaient affaire à des Français. Et s'étant approché à portée du canon, le fit jouer, tenant toujours comme à son accoutumée les pieds dessus et l'œœil pour le pointer, de sorte que dans la trentaine de coups de canon qu'il lui fit tirer, il lui mis son grand mât à bas avec toutes ses voiles et lui rompit un canon en deux morceaux à la proue, et lui en démonta un autre qui était auprès, et tua le canonnier qui le commandait.

Un patron nommé Louis Taureau de S. Tropez avait êté pris deux jours auparavant dans le golfe de S. Tropez par ce navire, durant le combat il s'était jeté à la mer et avait êté récupéré par le sieur de Beaulieu, qui eut grand peine à le sauver, parce que le temps était bien mauvais, pour lui donner la liberté, rapporta que ce vaisseau était fort bien armé et qu'il était résolu à investir la galère et, de fait, ils ne cessèrent de se battre opiniatrement jusqu'à l'entrée de la nuit, mais au droit du cap de Saint Tropez, ils coulèrent à fonds à cause de la quantité de coups de canon qu'ils avaient reçus : car on leur avait tiré septante sept coups de canon toujours à la portée du mousquet. Il portait cent quinze hommes, y compris six esclaves Chrétiens ; on n'en n'a récupéré que cinquante, qui vinrent prendre les rames de la galère à la nage, et le reste fut tué au combat. Des captifs, il y en a en la galère seize ou dix-huit bien blessés.

Le combat fini, le sieur de Beaulieu, voulant voir les dommages qu'il pouvait avoir reçu durant le combat, trouva que pour ses agrès, tout est est presque gâté, tant les mats que les antennes et que les voiles, ayant un coup de canon à un tiers en haut du grand mât, un autre à la ceinture du trinquet, deux dans le cage (traduction de la gabie en provençal, la hune des galères) qui était restée à sa place, l'un à moitié gaie (à mi hauteur ?) au travers, l'autre vers la poupe du caïf (la caïque ou remorque) qui emporta la tête à un soldat, il avait pour mission d'être là à l'intérieur, avec ses compagnons. Un autre coup de canon à la poupe de la galère près du timonier, un autre à la bande senestre au troisième banc à partir de la poupe qui coupa les filarés (garde fou) et la bride (rembarde), et blessa six ou sept hommes Toutes les voiles étant percées de mousquetades, il sera contraint de les refaire à neuf.

Dans ce dernier épisode, il y a un vrai combat entre deux unités de puissance comparable, chacun des protagonistes croyant au départ avoir affaire à un bateau de commerce! Il a fallu plusieurs heures pour couler le vaisseau ennemi , mais ce dernier a causé des pertes humaines et des dégats importants à la galère qui fut contrainte de revenir au port car elle n'était plus en état de naviguer, mais avec un nombre de prisonniers considérable pour le volume et les équipements de la galère.

Par manque de munitions et de poudre, il fut contraint de se résoudre à retourner à Marseille car il ne pouvait résister à la mer, et de plus, il manquait de menottes et chaînes pour enchaîner les Turcs, en ayant environ quatre vingt ou nonante sans attaches. Si bien que dans les deux mois qu'il a tenu la mer à la plus mauvaise saison de l'année, il a diminué les forces d'Alger de cinq cents trente Turcs, pris, tués ou noyés, et racheté vingt Chrétiens esclaves.

Suit le répertoire nominatif des prisonniers

Nom des Turcs que le sieur de Beaulieu a sauvé du vaisseau mis à fond (coulé) le 25 février 1721 vingt six turcs, onze chrétiens Le Capitaine était Soliman Raîs, de l'Ile de Ré, renié (qui avait renié la religion chrétienne : renégat) plus onze chrétiens auxquels on a donné la liberté

Nom des Turcs qu'on a recouvert (repêchès) du vaisseau d'Alger qu'on fit investir (échouer) à la plage de Cavalaire le 18 mars 1621 vingt neuf Turcs,

Dont plusieurs renégats en particulier le Capitaine Amet de Lisbonne plus quatre chrétiens auxquels on donna la liberté

Nom des Turcs qu'on recouvra à la nage du vaisseau d'Alger mis par le fonds le 22 mars 1621 53 Turcs, dont le Capitaine : Ally Raïs d'Alger plus onze chrétiens auxquels on a donné la liberté

Au contraire des précédents, l'équipage ne comprenait que des barbaresques d'Alger, de Tunis, de Bizerte...

On retrouvera De Beaulieu en 1936 commandant du vaisseau du roy Le Lion d'Or (vaisseau de 24 canons et 147 hommes) sous les ordres du comte de Harcourt, il participe alors à la prise des îles de Lérins aux Espagnols en 1637 et à l'attaque de Gènes en 1638

Galère 1638
Galère à la bataille de Vado 1638