Les Chemins de Porquerolles

Un choix de textes sur l'île de Porquerolles




Letras de la costiera 1518, 1528, 1530

Extrait de : Pirates et corsaires dans les mers de Provence XVeme- XVIeme siècles
« Letras de la costiera »
Edité et présenté par Philippe RIGAUD



          Un ouvrage paru en 2006 : Pirates et corsaires dans les mers de Provence XVeme- XVIeme siècles « Letras de la costiera » Édité et présenté par Philippe RIGAUD présente une centaine de lettres, la plupart écrites en Provençal, issues d'un corpus de 4000 lettres conservées aux archives de la ville d'Arles. Ce sont des messages d'alarmes qui étaient envoyés de villes en villes.
          Nous en avons retenu trois parmi celles traitant d'observations faites aux alentours des îles d'Hyères.


12 mai 1518
Message envoyé par porteur depuis Hyères pour Toulon,
          Mesenhos sendengues de Tolhon, a vousautres de bon cor nous recomandam ; au jour d'uey XII de maii nostres pescados d'Ieras eran vengus de l'ila de Porcayrolhas sive del castel que a fatch faire monsenhor de Solies et an descubert doas fustas de Moros de que n'i a una ben grossa como una galera, donte dison que las gens del castel lur en parlat e sy son retiradas en mar. Per tant seres avisas, avisares la costiera e pagares lo present potador a l'acostumat. Non autre. Vostres bons amys lous sendegues d'Ieras.


          Messieurs les syndics de Toulon, nous nous recommandons à vous de bon coeur. Aujourd'hui 12 mai, nos pêcheurs d'Hyères étaient venus de l'île de Porquerolles c'est à dire du château qu'a fait faire monseigneur de Solliés. Ils ont découvert deux fustes de Maures dont une est grosse comme une galère. Les pêcheurs disent que les gens du château ont parlé aux Maures puis les fustes se sont retirées en mer.
          Ainsi vous en serez informé, vous informerez la côte et payerez le porteur comme à l'accoutumée. Rien d'autre.
          Vos bons amis, les syndics de Hyères

          Il existait, au XVeme, XVIeme siècle, un réseau de surveillance de la mer qui couvrait toute la côte, depuis Villefranche jusqu'à Martigues puis Arles, basé sur des points remarquables et en vue directe, c'étaient les Faros qui pouvaient transmettre des informations visuelles : de jour, une émission de fumée par voile suspecte, de nuit un feu. Ces observations et celles qui pouvaient être faites par d'autres observateurs comme des pêcheurs ou des marins étaient centralisés vers la ville la plus proche, mises sous forme écrite, en provençal, et transmises aux autorités des autres villes de la côte. Ici il s'agit de deux fustes maures aperçues devant Porquerolles. (la fuste est un petit navire, a propulsion mixte, avec une voile latine et avec 16 à 18 bancs de deux rameurs de chaque coté. La galère était un navire plus important, en général de 24 bancs de 3 rameurs de chaque bord, avec 3 rameurs par rame )
          On notera que le château, qui précéda Sainte Agathe construit 12 ans plus tard, était habité et qu'il y avait des échanges avec les Maures qui venaient peut être simplement faire aiguade.
          Une autre lettre du 3 août de la même année signale : «  une fuste a donné la chasse au brigantin de monsieur de Solliés qui venait de l'Ile et l'a pourchassé jusque tout près le Piélon de Cau-Clar (entrée de la rade de Bormes) puis a fait voile vers la passe.... »
          On peut supposer qu'il s'agissait du navire faisant la liaison avec le continent (un brigantin était un navire de bas bord, plus petit qu'une fuste, équipé d'une voile latine et de douze ou treize bancs de chaque coté avec un seul rameur par banc)


1528
          Mesiers los consols, a vos autres nos recomandam ; per la presenta vous avisan con suis ; aquesto nuech passado ung de nostre brugins volian traverssar de Gien en l'ilo et van trobar uno fusto en Robaut que descubre per galero et los a fach investir en terroet dutan que non ayon pres tres homes car non es vengut que ung et dutan que en sas boquas non y ayo d'autros fustos. Per so seres avisas et avisares lacosto como de costumo en pagant lo presentportador a l'acostumado.
          Los sendegues d'Hyeros vostres bons amics et frayres
          A mesiers los consols de Tolon sia donato la presento. En Tolon

          Messieurs les Consuls, nous nous recommandons à vous, par la présente, nous vous informons de ce qui suit. La nuit dernière, un de nos brugins (barque tirant un filet appellé brugin) qui voulait passer de Giens dans l'île, trouva une fuste à Roubeau (le grand Ribaud) qu'il identifia comme une galère et les a attaqué à terre. Nous craignons qu'il n'ait été pris trois hommes puisqu'il n'en est revenu qu'un seul. Nous craignons que dans les passes il y ait d'autres fustes. Ainsi vous serez avertis et vous aviserez la côte comme à l'accoutumée, en payant le porteur (Le paiement du porteur était de 5 gros, le florin valait 12 gros)
          Les syndics d'Hyères, vos bons amis et frères
          Que la présente soit donnée à messieurs les consuls de Toulon
         

11 juin 1530
Lettre pour envoyer a la tour d'It
          cappitaine Sigoyer, je vous avertys que Barberousse est arrivé aux ysles d'Yeres aveques dix galleres et quarante fuste et les esclaux lur ont levé( les esclaves lui ont enlevé) une fuste qui s'est venue rendre a Breganson qui nous ont advertys. Par quoy vos tiendrez sur vos gardes. Priant nostre seigneur vous donne ce que vous desirez
          A Thoullon, ce samedi a deux heures de nuyt
          Votre bon ami
          C.de Lubiano

         
C.de Lubiano, un capitaine de galères italien, au service du roi de France, et qui écrivait en français, envoie un message urgent en direction du capitaine Sigoyerde la tour d'It ( It, qui vient du provençal itol, petite ile, s'est transformé en If par suite d'une faute de recopie) Il s'agit de l'arrivée de Barberousse aux iles d'Hyères, ce dernier a perdu une fuste de 17 bancs par suite d'une révolte des esclaves qui ont tué les Turcs présents à bord avant de se réfugier à Bréganson. Ce furent 75 esclaves chrétiens qui réussirent à s'enfuir. Bréganson était le seul lieu fortifié de la baie d'Hyères. En fait, Barberousse, à la tête d'une petite armada, n'était que de passage aux iles, il avait fui Alger pour éviter une rencontre avec Andrea Doria, et le lendemain matin il attaquait La Napoule, probablement par vengeance vis à vis de ce dernier.
          De Valbelle, dans son « Histoire Journalière » parle également de l'arrivée des maures et d'un combat qui s'ensuivit aux îles.