Sur l’île de Porquerolles, dans le Var, le fort de la Licastre, ou de l’Alicastre, édifié du temps de Richelieu, devrait son nom à un dragon nommé la Lycastro, ancien habitant du lieu :
Déurié soun noum à-n-un mouestre dragounique retira àutrei-fès, dins lou rode ounte s’es basti lou fort. Sourtié de sa sousto sènso espera d’èstre pougnu de la fam e bouscavo sa pitanço dins lou campèstre avesinant, fènt sa predo dei pu bèis escapouloun dóu bestiàri que li peissié, quouro s’atacavo pas, lou gusas, ei pastre que va gardavon. L’avié deja proun tèms que leis estajan de l’ilo tremoulavon de lou saupre aqui quouro, pèr uno tristo nue de decèmbre, un roumiéu tournant d’en Terro Santo, sieguè prefounda, ’me lou batéu que lou pourtavo, pèr la mar encoulerado. Soulet, de toui lei passagié, sieguè jita pèr leis erso sus la ribo *.
« Il devait son nom à un monstre draconique retiré autrefois dans l’endroit où s’est bâti le fort. Il sortait de sa tanière sans craindre d’être étreint par la faim et trouvait sa pitance dans la campagne avoisinante, faisant sa proie des plus beaux spécimens des animaux qui paissaient, quand il ne s’attaquait pas, le gueux, aux bergers qui les gardaient. Il y avait déjà longtemps que les habitants de l’île tremblaient de le savoir ici quand, par une triste nuit de décembre, un pèlerin revenant de Terre Sainte fut englouti, avec le bateau qui le portait, par la mer déchaînée. Seul de tous les passagers, il fut jeté par les flots sur le rivage. »
Les îliens, qui le découvrirent le lendemain, le soignèrent tant qu’il revint à la vie. Ayant repris ses forces, il s’enquit de la façon dont il pourrait s’acquitter envers ses hôtes secourables mais ceux-ci, qui n’avaient agi que par charité envers leur frère chrétien dans l’épreuve, refusèrent le moindre remerciement. Quelqu’un lui ayant incidemment révélé l’existence de la Lycastre, le pèlerin s’arma aussitôt de pied en cap et se rendit dans la dragouniero : il y découvrit le monstre endormi, le ventre exposé au soleil, en train de digérer. Le brave planta sa lance dans le corps ainsi offert. La bête, tordue de douleur, força le chevalier à lâcher prise et se retourna contre son adversaire, la gueule grande ouverte pour le dévorer. Le vaillant guerrier, qui avait dégainé son épée, la lui enfonça dans le gosier, infligeant à l’animal une blessure mortelle par l’hémorragie produite. L’histoire précise même qu’avant de rendre son dernier souffle, le dragon pria son vainqueur de donner son nom à cet endroit.
Conio (Antoine), Lou Dragoun en Prouvènço. Assai d’istòri legendàri, Avignon, Joseph Roumanille, 1920, in-8°, page 38.