La Pointe Maubousquet
Quand on pénètre dans la baie de Porquerolles ; on laisse à tribord un petit cap qui marque l’entrée ; c’est la pointe de Maubousquet. Il fait actuellement partie de la propriété des Myriades.
Mais qui a donné son nom à ce petit cap ? Qui était Maubousquet (ou Malbousquet) ? Pourquoi et quand ce nom a été donné ? On va enquêter dans les archives pour avoir quelques explications.
Les cartes anciennes de Porquerolles
Commençons par étudier les anciennes cartes. On retrouve la pointe du Maubousquet sur la carte d’Etat Major de 1866. Sur la carte de Cassini relevée en 1778 cette pointe s’appelle Cap du Man. Mais on retrouve la pointe Maubousquet sur la carte du "Feu d’Assurance" qui est antérieure à 1750. Sur la carte dite du Fort de l'Etoile : qui date de 1700, on découvre un port de Maubousquet qui désigne le mouillage situé au sud de la pointe Prime . Les cartes antérieures, à trop petite échelle ne donnent pas d’indications sauf la carte de Maretz réalisée en 1633 qui fournit le nom de 3 mouillages sur l’île: port du Lingoustier, port de Maubousquet, port des Galéasses (La Galère). Une partie de cette carte est représentée ci dessous
Cette carte a été gravée sur parchemin, elle était constituée de 4 feuilles, sa surface totale était de 80cmX280cm (BNF) Elle a été réalisée pour illustrer un rapport de Séguiran pour le Roi Louis XIII sur l’état des défenses maritimes des côtes de Provence demandé par Richelieu, on va donc s’intéresser a ce rapport
Une première constatation le nom de Maubousquet â été primitivement attribué à un mouillage ou un port et non à un cap.
Le Rapport de Séguiran
Voilà ce que nous dit Lacour Gayet dans son ouvrage : La marine militaire de la France sous les règnes de Louis XIII et de Louis XIV. Tome 1, Richelieu, Mazarin, 1624-1661 La mission de Séguiran ne dura que 2 mois du 11 janvier au 10 mars 1933 ; elle se fit sur une région beaucoup moins étendue car elle se borna seulement aux côtes de Provence [une autre mission avait eu lieu sur les côtes atlantiques], les seules de la Méditéranée Française qui aient une valeur maritime.
Arrivé dans une ville, il convoquait les magistrats municipaux et les principaux habitants dans une sorte de conférence, il se faisait instruire de l’état passé et présent du commerce maritime et de tout ce qui pouvait intéresser l’objet de sa mission puis il procédait lui même à l’inspection du port, des navires, des arsenaux, des pièces d’artillerie.
Un professeur de Mathématiques Jacques de Maretz d’Aix en Provence, levait le plan de tous les endroits visités. Le résultat de tous ces relevés topographiques se trouva consigné sur une carte d’ensemble qui représentait dans le plus grand détail la côte provençale, jusqu'à 2 ou 3 lieues à l’intérieur des terres l’étude de cette carte devait déterminer Richelieu à faire élever des fortifications sur divers point de la côte, comme Porquerolles, Port Cros, Sainte Marguerite , Saint Honorat,La Croisette , Agay, Cavalaire, Bréganson, Balaguier, Les Embiez, etc.
Le port de Maubousquet est cité dans la description de la baie de Porquerolles : "le port de Porqueroles qui est bon d'est, de sud est, sud, sud ouest et ouest, capable de plusieurs galères et où il y a aussi une fontaine….. Dans le circuit de la même plage, il y a un autre petit port appelé Maubousquet, bon pour (tous) vents sauf d'est et nord est. Non loin de là est la plage de bon Renaud "
Donc le port Maubousquet est antérieur à 1633, et on ne trouve pas de références plus anciennes.
Le Seigneur de Maubousquet
Recherchons maintenant qui était le Seigneur de Maubousquet. On trouve facilement un Maubousquet qui fut un personnage important au XVIIème siècle : Il s’agit de Lazarin de Pontevés, Marquis de Maubousquet(1631-1700) qui fut chef d’escadre des galères. On est donc dans une famille de navigateurs, de capitaines de galères, ce qui n’a rien d’étonnant. Mais ce n’est pas lui qui a donné son nom au mouillage, car il est né en 1631. Il faut donc chercher du côté de son père, de son grand-père. Le père de Lazarin, c’est François de Ponteves Seigneur de Maubousquet , il est présenté dans les arbres généalogiques comme le premier Seigneur de Maubousquet ;chef de file de la Branche Maubousquet chez les Pontevés, et c’est vrai, son père Balthazar de PONTEVÈS, qui fut Premier Consul d'Aix (1609), Viguier de Marseille (1605), Procureur du pays (1609) ne porte pas ce titre. Il ne tient pas non plus ce titre de sa mère née Marguerite de GALLÉAN DES ISSARTS. Il faut donc chercher du côté de son épouse. Il s’est marié le 11 avril 1625 à Pontevès, village berceau de la famille , avec Isabeau de MEYSSONIER, toujours pas de titre Maubousquet! Il faut aller du côté de sa belle mère pour trouver l’explication : elle est née Hélène du BOUSQUET. François de Pontevés a donc repris le titre du grand-père maternel de sa femme! légèrement modifié, peut être une forme plus ancienne du titre. d’ailleurs au début, il écrivait son titre Mau-Bousquet.
François de Pontevés Seigneur de Maubousquet a donné son nom au port qu'il a créé vers 1630
les Galères vers 1630
Au XVI ème siècle les galères étaient stationnées à Marseille, il y en a eu plus de 40 sous Henri II qui attachait une grande importance à la force navale mais leur nombre avait fortement décru il n’en restait plus que 13 en 1561 et seulement 2 en état de naviguer en 1578. Cette situation va lentement s’améliorer et Richelieu trouvera 5 ou 6 galères opérationnelles à son arrivée au pouvoir en 1624. Il prendra des décisions importantes : la construction d’une dizaine de galères dans les Arsenaux de Marseille, le transfert du port des galères à Toulon et la décision de renforcer fortement les défenses de Toulon et des côtes de Provence. On trouve en Méditerranée une flotte de 22 galères et 5 vaisseaux en 1635.
Cette mesure permettait de libérer le fond du port de Marseille frès encombré à l'époque; mais fera perdre une main d'oeuvre très bon marché. Les marseillais demandèrent en compensation que l'on fasse la chasse aux barbaresques en particulier aux îles d'Hyères où ils avaient leurs habitudes. C'est peut être pour tenir cette promesse qu'il y a eu une implantation d'un petit port pour des galères ou peut être simplement parce que le port de Toulon n'était pas fini.
A Toulon Les galères êtaient prêtes pour prendre la mer très rapidement et une petite avant garde était stationnée à Porquerolles, c’étaient "les vedettes de Grand garde" pour prévenir de l’arrivée des ennemis.
Pendant cette période les barbaresques ont cessé les incursions sur les côtes de Provence et les galères sont allés les chercher jusque devant Alger et à Majorque, qui était un haut lieu de la piraterie, le but réel de ces expéditions était de ramener des prisonniers pour en faire des rameurs sur les galères.
En 1634 une dépêche est intercepté, elle disait : "Il se fait une armée à Naples de cinquante gros navires, lesquels seront chargés de 6000 hommes de guerre et doivent passer à Gène auquel lieu doivent se joindre toutes les galères d’Espagne et prendre encore un pareil nombre de soldats, faisant en tout douze mille hommes pour aller descendre en quelque lieu du monde." on a pensé immédiatement à Toulon, d'ailleurs une autre dépêche signale Six Fours comme lieu de débarquement. Mais une tempête contrarie ce rassemblement. Le danger d'une invasion était permanent. Les espagnols s'empareront des îles de Lérins en 1635, elles seront reprises 2 ans plus tard. La Françe a eu une attitude défensive jusqu'au combat de Vado près de Génes en 1638. Ensuite les espagnols n'iront plus faire d'incursions en Provence et les combats ont été localisés sur les côtes de Catalogne ef d'Espagne.
C'est Richelieu qui a été à l'origine de ce petit port peu après le transfert des Galères à Toulon, pour contrer la menace espagnole.
Des vestiges de bâtiments sur le terrain?
Les cartes et les textes d’époque indiquent qu’il y avait un petit port de galères dans ce mouillage, peut on recouper cette information avec des vestiges sur le terrain ?
Il n’y a rien en mer, s’il y a eu des appontements ; ils étaient en bois et ont disparu depuis longtemps. Le long de la côte il n’y a rien non plus sauf des puits qui sont impossibles à dater, ce mouillage, abrité de l’ouest, a toujours servi d’aiguade aux pécheurs et marins de passage. Il faut consulter le premier plan cadastral, celui dit de Napoléon, qui date de 1828, pour avoir une indication : il est mentionné à quelques dizaines de mètres de la côte : "Sol de batisse et Four"; on a d’autres indications : une fenêtre, surface 96m2. Cette batisse a jadis servie de bergerie. la description évoque une boulangerie de marine qui était composée de 3 parties, un four, un pièce située au dessus ou l’on pétrissait le pain, la gloriette ; et de plusieurs salles voûtées, sans fenêtres, les étuves.
Le pain de Marins que l’on appelait aussi Biscuit car cuit deux fois était la base de la nourriture des équipages en mer, il se conservait plus d’un un an. Immangeable en l’état, il se consommait une fois trempé dans un liquide: bouillon, eau, vin, voire eau de mer ( il n’était pas salé pour éviter d’absorber l’eau) Il se présentait sous formes de galettes d’environ 200gr de 16 à 17 cm de diamètre pour une épaisseur de 3,5 cm La ration était de 3 galettes par jour, davantage en cas d’efforts soutenus. Ce pain contenait 10% de protéines.
"Il s’agit d’une sorte de pain, cuit pendant au moins une heure et demie au total, fait de levain, de farine de froment et d’eau, mais celle-ci «en quantité moindre que pour le pain ordinaire. cette pâte, contenant peu d’eau, manque de souplesse et d’élasticité. Il est impossible de la pétrir à la main. Si bien qu’on le fait… avec les pieds nus." La gravure ci après, tiré d’un manuel de meunerie, représente le pétrissage aux pieds (d'où l'expression "être dans le pétrin"). On remarquera en arrière plan les caisses en fer de 3 pieds sur 3 pieds dans lesquelles on rangeait les galettes au sortir du four
La deuxième cuisson se faisait en étuve, elle durait longtemps, 4 à 6 semaines, les galettes étaient rangées dans des caisses en fer empilées les unes sur les autres autour d’un poêle qui maintenait une température supérieure à 60°. La description d’une étuve tirée d’un manuel de meunerie nous donne des dimensions : 30 pieds x 10 pieds. On trouvait de part et d’autres du poèle central 2 fois 3 empilements de boites, ils étaient à 1 pied des murs et séparés par un espace de 2 pieds.
Munis de ces renseignements, allons voir sur le terrain si nous retrouvons les restes d'une boulangerie de biscuits de mer.
Découverte d'une ancienne boulangerie de Marine
Par chance ce bâtiment existe toujours, il fait partie de l’ensemble baptisé la Bergerie et a été transformé en lieu d’habitation,
. La bergerie a été reconditionnée et on a construit des bâtiments complémentaires, ces aménagements ont été réalisée par Fournier qui a installé ici sa fille Doria, ils n’ont pratiquement pas bougé depus le décès de cette dernière.
On devine le dessin de la construction d'origine mais beaucoup de remaniements, des rajouts de portes et des fenètres pour rendre ces locaux habitables. Par chance on retrouve une partie de la couverture primitive qui est voûtée sur une douzaine de mètres, c'est la "signature" d'une étuve, le reste du bâtiment a été réutilisé et le plafond refait.
Il nous reste douze mètres de la construction primitive, une pièce de 4mx3m qui jouxte un puits, une pièce de 4m60x6m et ensuite une nouvelle pièce de 4m60x3m. On se trouve en présence de ce qui fut la gloriette de 12 m2 , d’une salle d’étuve de 28 m2 et du début d’une deuxième.(communication de Monique Valot)
Si l’on suppose 3 salles d’étuves identiques on arrive a un total de 96 m² comme indiqué dans le cadastre de 1828 (il s’agit des dimensions habitables), le four a disparu, il était probablement à côté de la gloriette. Les dimensions d’une étuve sont de 20 pieds par 15 pieds soit la même surface que les étuves décrites dans la littérature mais de dimensions différentes. Il est aisé de constater qu’il s’agit simplement d’une autre organisation de l’espace, au lieu d’avoir 2 rangées de 2x3 empilements nous en avons 3 de 2 fois 2 empilements. La structure est plus ramassée autour du poêle central et il y avait la possibilité d'une treizième pile, derrière le poele
On confirme notre hypothèse de départ, la "bergerie" a réutilisé les vestiges d’une ancienne boulangerie de marine.
Essayons d ‘évaluer la capacité d’une étuve, à priori on s’attend à trouver un mois de biscuit pour une galère, les galères emportaient un mois de vivres et de l’eau pour 5 à 6 jours seulement. Il y a environ 400 personnes sur une galère qui consomment 3 galettes de 180gr par jour soit 36000 galettes pour un mois. En supposant que chaque caisse contienne 8 couches de 36 galettes on arrive à 125 caisses soit une dizaine par empilements, ce qui est compatible avec les dimensions de l’étuve.
Cette boulangerie avait la capacité d’alimenter une galère chaque 15 jours avec du biscuit étuvé plus d’un mois ; deux galères pouvaient ici stationner en permanence, ou 3 en hivernage car il ne restait alors que les galériens. Nous avons donc une confirmation sur le terrain de la présence dans cette baie d’un petit port de galères qui a été suffisamment important pour que l’on construise une boulangerie de marine.
Accessoirement, on peut dater cette construction autour de 1630 et confirmer ainsi la tradition orale qui fait de ce bâtiment, que l’on appelle localement Les Jannets, (du nom du premier concessionnaire), le plus vieux du village. Cette construction a précédé de peu les forts du Langoustier et de l’Alycastre.
Nous voila arrivé à la fin de l'enquête : La pointe Maubousquet est un nom donné en souvenir d'un petit port de galères qui existait vers 1630 à l'ouest de cette pointe. et on a confirmé l'existence de ce port par la découverte des vestiges d'une boulangerie de biscuits de mer.
Mais que sont devenus le port et sa boulangerie?
Probablement, ils ont eu une durée de vie assez brève, peut être une dizaine d'années, des compléments d'informations sont nécessaires.pour préciser. Par la suite, les quelques installations du port ont disparu la boulangerie est devenue Bergerie. Seuls sont restés actifs les puits devenus aiguades pour les pécheurs. Vers 1825 quand l'armée a ditribué des concessions, valables 7 ans et indéfiniment renouvelables, deux concessions ont été accordées à Jannet: la bergerie et à Robert: la pointe Maubousquet. De Roussen a mis fin au régime des concessions et récupéré ces terrains et les constructions. La Compagnie foncière a transformé la maison des Robert en résidence du représentant de la compagnie sur l'île. avec l'arrivée de FJ Fournier on voit la bergerie devenir la demeure de sa fille Doria et les Roberts transformés en lieu de villégiature. Il y a eu un locataire célèbre : Simenon et plus tard, son fils Marc achètera cette propriété et y séjournera longtemps avec son épouse Mylène Demongeot.Simenon signale dans un de ces livres "l'Evadé" publié en 1934 qu'il l'a écrit dans la villa "les Roberts" dans l'ile de Porquerolles. Il a laissé son nom au sentier qui part des Roberts pour aller vers la Pointe Prime, c'est "Le chemin de Siménon".
il parait logique de terminer cette enquête en évoquant le souvenir du plus grand enquêteur de notre littérature, qui fut un habitué des lieux.