A 200 mètres au sud du fort de Sainte Agathe, sur une petite éminence, le Moulin à vent de Porquerolles est de retour, depuis plus de 200 ans ses ailes s'étaient arrétées de tourner et il n'en restait que la tour, ruinée et perdue au milieu du maquis. Un spécialiste des moulins provençaux : Michel RIBIS porquerollais d'adoption a oeuvré depuis plusieurs années pour que ce moulin soit reconstruit à l'identique.
La restauration, sous la maîtrise d'oeuvre du Parc National de Port Cros a été terminée en juin 2007 ; elle a été conduite par l'architecte Jean-Charles DUTELLE, un enfant du pays, plusieurs organismes ont participé financièrement à ce projet : Le département du Var, la région Provence côte d'Azur, la Fondation du Patrimoine. la TLV a facilité l'acheminement des matériaux, l’association « les Amoureux de Porquerolles » a fait don des meules. Toute la partie tournante et aérienne est l'oeuvre d'un ébéniste au talent exceptionnel : Charles DUTELLE, père de l'architecte.
Ce moulin a été construit au début du 18ème siècle, la carte de l'île de Porquerolles du
recueil de Phélypeau, de la fin du 17ème, n'en porte pas trace, alors qu'à cette époque un moulin est représenté sur l'île de Port Cros. Il apparaît pour la première fois sur une carte dans le recueil des frères Oliviers, pilotes du roy, daté de 1728, il s'agit d'un dessin aquarellé, un croquis plutôt qu'une carte, où sont représentés le moulin et un débarcadère, à l'emplacement de l'ancienne jetée, avant que le port actuel ne soit construit. On peut supposer que ce débarcadère a été édifié en même temps que le moulin et servait à décharger le blé et livrer la farine.
Il a probablement été construit peu avant 1728, le début du siècle avait été difficile dans le midi, à cause de l'invasion Anglo Hollandaise de 1707 lors de la guerre de Succession d'Espagne (1701 - 1714) La guerre a été déclarée par l’Angleterre, opposée à l’accession de Philippe d’Anjou, petit-fils de Louis XIV, au trône d’Espagne. Elle a opposé la Grande Alliance, composée de l’Angleterre, des Pays-Bas, du Saint Empire romain germanique, puis du Portugal et de la Savoie à la France et à l’Espagne. En 1707 les troupes du duc de Savoie venant d'Italie, envahissent la Provence avec Toulon pour objectif, les Anglais, les Hollandais assurent le blocus de Toulon et transportent le matériel de siège. Porquerolles avait été occupé par les troupes de l'Amiral SHOWELL et a servi de base arrière pendant le siège de Toulon. Avant leur retraite, sans avoir atteint leur objectif, les envahisseurs ont détruit ou tenté de détruire les habitations et fortifications de l'île et un moulin n'y aurait pas survécu.
A cette époque, le propriétaire et Marquis de Porquerolles, qui en était aussi le Gouverneur, était MOLÉ, abbé de Sainte Croix, propriétaire de six abbayes en France, très âgé, il est mort en 1712 à presque 90 ans, et n'a certainement pas fait d'investissements dans l'île sur la fin de sa vie. Son neveu, qui lui a succédé en tant que propriétaire et Marquis, n'a pas conservé l'île bien longtemps, il l'a revendue à Jean Louis LHERAULT de SAINT GERMAIN, en 1720, ce dernier était le lieutenant général de la Varenne du Louvre, en quelque sorte intendant du domaine de chasse le plus important du roi, il avait acheté en 1719 le domaine du Grand Mesnil (à Bures sur Yvette), il portait donc le titre de sieur de GRAND-MENIL et il avait à l'époque des moyens financiers conséquents car il avait acheté une maison de maître au 23 rue de Visconti, début 1720 avant de se porter acquéreur de Porquerolles.
On peut supposer que c'est lui qui a fait construire, ou cédé une concession pour bâtir et exploiter le moulin, il a peut être également introduit les faisans dans l'île, car il en avait à sa disposition dans les chasses du roi.
En 1720 1721, une épidémie de peste a ravagé le Midi, partie de Marseille, elle a fait disparaître la moitié de la population de Hyères, de Toulon et des villages environnants, Porquerolles ne semble pas avoir été touchée, mais l'époque était peu propice à des investissements.
On peut dater la construction du moulin entre 1722 et 1728, mais nous n'avons aucune preuve directe. il devait correspondre à une nécessité économique de l'époque. Le Royaume était importateur de blé et Louis XIV avait interdit l'exportation, cette interdiction ne sera levée qu'en 1764. De plus, la farine qui arrivait à Marseille par la mer, ne supportait pas de taxes (il y eu même un moulin sur l'ile du Château d'If !)
Le fils de LHERAULT de SAINT GERMAIN, Louis, n'a pas pu ou n'a pas su conserver le patrimoine de son père, qui devait être largement hypothéqué ou incomplètement payé, en 1734 un procès, intenté par des créanciers, l'oblige à vendre le Château et le domaine du Grand Mesnil. L'île a été adjugée aux héritiers de Jean MOLE, précisément à ses petits enfants, issus du mariage de sa fille Elisabeth avec Joseph Michel Nicolas Sublet de Hendicourt de Léoncourt, par des jugements du Parlement de Paris , en 1734 et 1735 pour la somme de 25500 livres (et la reprise probable des dettes de l'ancien propriétaire).
C'est à cette période qu'un cartographe relève le plan de l'île : c'est la carte « du feu d'assurance » le moulin est signalé, ainsi que d'autres lieux d'activité dans l'île.
Le domaine de Porquerolles, longtemps administré par Joseph Michel Nicolas Sublet de Hendicourt de Lenoncourt ensuite par son fils aîné, Comte de LENONCOURT puis par le frère de ce dernier, l'abbé d'HENDICOURT, est devenu un domaine prospère avec l'introduction de la vigne et l'exploitation de la forêt, mais il semble que les propriétaires se soient fortement endettés au point que les créanciers menaçaient de saisir l'île en 1751 puis en 1755.
C'est à cette époque, à partir de 1744, que les militaires s'installent dans l'île, afin de ne pas la laisser sans surveillance alors que la marine anglaise séjourne régulièrement dans la baie d'Hyères, un hôpital militaire est construit, une garnison d'invalides, une compagnie détachée de l'Hôtel Royal des Invalides , est installée dans l'île, les forts sont réoccupés, des chemins sont construits dans l'île, par exemple celui des crêtes qui allait depuis la gorge du loup jusqu'au Langoustier, en passant par la vigie et le Brégançonnet.
L'île entre 1750 et la Révolution est habitée par 100 à 120 personnes, une soixantaine d'invalides, le personnel de l'hôpital, une mini garnison au grand fort de Porquerolles (Sainte Agathe), sous l'autorité de BESSOU de MONDIOL « Major et Commandant pour le service du Roy à l'Isle de PORQUEROLLES » , la maisonnée du seigneur de l'île et quelques familles de cultivateurs (une dizaine tout au plus), les registres paroissiaux nous donnent de nombreux renseignements sur la période 1750,1790.
C'est vraisemblablement un ancien invalide, qui avait quitté l'armée avec une pension « de 3 sous par jour », qui s'était installé à Porquerolles et y avait pris épouse, qui a fait fonction de meunier : Antoine TOITON dit MEUNIER.
Il est arrivé dans l'île vers 1750, garde le surnom de Meunier jusqu'aux alentours de 1780, par la suite il sera « patron du petit bateau du roy », le bateau qui assurait la liaison avec le mouillage du Pradeau (ancien nom de la Tour Fondue). Il est mort noyé en revenant du Pradeau, en 1787.
Les seigneurs de l'île ne semblent plus l'habiter régulièrement après 1755, l'abbé d'Endicourt avait essayé de racheter les parts de ses frères mais n'y était pas arrivé, le domaine est resté indivis entre les 4 héritiers jusqu'en 1764, cette année là le plus jeune frère, Philippe Gaspard Sublet, marquis de Lenoncourt vend son quart (la région de Notre Dame) à Louis Joseph de la Croix de Castries, pour 18.000 livres et rachète la part de son frère aîné.
Une carte éditée cette année là, issue du recueil de Jacques Nicolas BELLIN , nous montre une île avec des cultures, des vignes, des bois entretenus et le moulin en fonctionnement (représenté avec ses ailes), mais cette situation ne va pas durer, la partie de l'île dévolue aux Lenoncourt périclite, alors que Louis Joseph de la Croix de Castries puis son frère mettent en valeur la plaine Notre Dame, exploitent la carrière et font venir quelques nouveaux habitants.
Le plus jeune des frères Lenoncourt, habite dans l'île à partir de 1780, il la laisse à l'abandon, au point que l'autre propriétaire lui fera un procès pour demander qu'il entretienne son domaine ou pour qu'il lui soit attribué, sans succès.
Le moulin doit s'arrêter de fonctionner vers 1770 1775, il apparaît sur la
carte de Cassini, relevée en 1778, comme un « moulin à vent en ruines ».
Lors de l'occupation de l'île par les anglais, en 1793, pendant et après l'occupation de Toulon, d'où ils furent chassés par Bonaparte, il y eu probablement une tentative de destruction de la tour à l'explosif, comme pour les fortifications et habitations de Porquerolles, la tour était fissurée avant sa réhabilitation.
Le Marquis de LENONCOURT était sur l'île lors de l'occupation anglaise, il partira avec eux, sera considéré comme émigré, et perdra son domaine, vendu comme bien national, son fils, né à Porquerolles en 1782 récupèrera plus tard une partie de l'île.
Une carte relevée en 1818 mentionne encore le moulin, et le propriétaire de l'île de l'époque : REGIS , envisageait de le reconstruire, c'est du moins ce qu'il prétendait, aux autorités militaires qui voulaient l'exproprier, ils « n'ont estimé des murailles de la plus grande solidité, qu'au prix auquel on achète communément la pierre brute » cette expropriation n'aura pas lieu.
Le moulin apparaît sur le premier cadastre de Porquerolles en 1828, et c'est un simple point géodésique (42,5 m) sur le plan directeur de l'IGN en 1896 puis sur les cartes ultérieures.
Avant sa constuction, il n'y avait aucun chemin dans les parages, cette zone était en friches ou transformée en pâturages pour les chèvres, elle avait été défrichée et cultivée au 17ème siècle, la végétation actuelle est récente, elle a démarré pendant l'époque d'abandon lors de la dernière guerre et les parties récemment déboisées, redonnent l'aspect que devait avoir cette parcelle au début du 18ème.
Le premier chemin qui conduisait au moulin partait de la jetée constuite en même temps que ce dernier. Il devait traverser la place actuelle pour suivre à peu près la rue du phare, avant d'obliquer pour traverser l'école et déboucher derrière l'Orée du bois, ce parcours a complètement disparu avec la construction du village à partir de 1815, on trouve la trace du chemin au-delà, dans la partie récemment dégagée, au-dessus de l'Orée du bois, il apparaît comme un petit fossé, en direction du moulin, très proche de la ligne de crête qui va jusqu'au sommet de l'éminence où se dresse le moulin.
Il est classique, ici, de voir les anciens chemins transformés en rigole, voire en ruisseau, le piétinement sur un chemin en activité, provoque une légère dépression au centre, dès que le chemin n'est plus utilisé et entretenu, les eaux de ruissellement creusent cette rigole qui peut prendre l'aspect d'un fossé. Le parcours de cet ancien chemin n'est dégagé que sur quelques dizaines de mètres, au-dela il se perd dans les broussailles. Le parc a dégagé un autre chemin, un peu plus bas, qui a été construit beaucoup plus tard, lorsque le moulin a servi d'habitation, au début du 20ème siècle, on peut l'emprunter pour monter au moulin mais il n'est pas très praticable.
Les récents débroussaillages, à l'extémité de la rue du phare, ont dégagé un chemin, construit entre 1850 et 1870, pour desservir le sémaphore, environ un siècle après la fin d'exploitation du moulin. Ce chemin allait jusqu'au carrefour des quatre chemins, puis a été récupéré par la voirie moderne pour la descente dans la plaine de la Courtade, sa trace se perd dans les cultures, on la retrouve de l'autre côté de la plaine sous forme d'un sentier qui grimpe vers la crête du mont des Salins. Depuis ce chemin, le Parc a dégagé un accès au moulin, c'est le cheminement actuel le plus agréable et le plus rapide pour grimper au moulin.